Belle expérience, en ce mois de juin 2018, que de partager l’un de mes nombreux séjours à Chios avec Pierre-Alain Schmied, jeune médecin retraité suisse qui s’était adressé à Choosehumanity pour offrir ses services en qualité de bénévole.

En préambule, il importe de préciser que lorsque des volontaires se présentent, nous les adressons, en fonction de leur profil, à l’organisme qui semble le plus adéquat sur le terrain. C’est donc très naturellement que nous avons proposé les services de Pierre-Alain à l’équipe médicale espagnole SMH, qui l’a immédiatement recruté.

Quelle chance pour nous tous ! Avoir un médecin qui cumule tant d’expériences, tant en Suisse qu’à l’étranger dans des environnements affectés par la guerre pour le CICR. Un médecin doué de formations multiples, mais surtout d’un sens aigu de l’humanité et du professionnalisme. Les retours que nous avons eus de l’équipe espagnole nous l’ont confirmé : Pierre-Alain, c’est une plus-value incontestable.

Côtoyer Pierre-Alain durant ce séjour, lui expliquer ce qu’était la situation, et comment elle avait évolué depuis mon premier passage en mars 2016 m’a permis de prendre du recul, et de mesurer véritablement l’impact de la politique migratoire sur la vie de ces réfugiés en quête d’un avenir meilleur.

Ce qui m’a prioritairement choquée, c’est la façon dont le UNHCR, organisme en charge des personnes dites vulnérables (femmes seules, femmes ou hommes seuls avec enfants, mineurs non-accompagnés, gays, lesbiennes, transgenres, personnes handicapées) sont – on peut le dire – actuellement maltraitées par une structure reconnue au plan international, à qui tout un chacun fait confiance les yeux fermés.

En 2016, ces personnes étaient repérées et annoncées lorsque nous accueillions les bateaux sur les plages, avant d’être placées dans des appartements ou des hôtels mis à disposition. Aujourd’hui, l’on croise dans le camp des personnes en chaise roulante, des mineurs, des femmes seules, souvent victimes de harcèlement ou de violence. Des personnes vulnérables qui ne bénéficient plus de la protection particulière à laquelle elles ont droit. Quelques exemples parmi d’autres….

Lors de l’arrivée d’un bateau, Pierre-Alain a accueilli un jeune homme syrien de 22 ans dont le visage avait été complètement détruit par une bombe. Il ne lui reste pratiquement pas de joues, et seul un petit origine lui permet d’ingurgiter, lorsqu’il est allongé, de la nourriture dûment mixée. Nous n’osons imaginer l’état de ses membres internes… Un incident a justifié une hospitalisation. Le lendemain, un membre de notre équipe le retrouvait au camp, seul dans une tente igloo planté à même le sol dans la broussaille… Bravo le UNHCR ! Pierre-Alain s’est empressé de le signaler à qui de droit… A suivre…

Une jeune femme congolaise de 22 ans voyage seule elle aussi. Elle réside dans une chambre misérable. Lorsqu’on lui annonce, un matin, qu’elle sera déplacée dans les heures qui suivent, pleine d’espoir, elle se réjouit. Peut-être aura-t-elle enfin droit à un endroit non seulement décent, mais garantissant des conditions sanitaires minimales…. Le jour même, elle nous contacte, en larmes. Et nous envoie des photos…. Une chambre sale, avec des matelas sales, des détritus dans les armoires (qu’on leur a interdit de vider), des toilettes qui ne fonctionnent pas, une douche non fonctionnelle… Une affiche qui décline les règles à suivre pour cuisiner : comment le pourraient-elle, il n’y a en tout et pour tout qu’une assiette et une cuillère dans les armoires…Trois femmes, africaines, effondrées… Bravo le UNHCR ! Une bénévole de notre équipe, comme nous, décide de rompre la règle et de se rendre sur les lieux, avec ce qu’il faut pour rendre cet endroit un tant soi peu accueillant…. Des produits de nettoyage, des couverts, un joli rideau de douche, des couvertures pour recouvrir les matelas, et beaucoup d’huile de coude.

Bachir a 10 ans… Il est mutique et terne, après avoir assisté au bombardement de sa maison et à l’assassinat de 5 personnes… Par chance, le papa dispose des moyens nécessaires à louer une chambre pour les 2 prochains mois dans un sous-sol pour éviter à son fils d’accumuler d’autres traumatismes dans le camp : la nuit noire parce qu’il n’y a pas d’électricité (et que Bachir ne dort qu’avec de la lumière), les bagarres, les cris, les tentatives de suicide parfois même. Nous rencontrons la famille et commençons à apprivoiser l’enfant, travail rétribué après 2 semaines par de jolis sourires et une confiance accordée. Bravo le UNHCR ! S’il n’y avait pas de petites associations indépendantes, que deviendraient ces gens. Où Bachir dormira-t-il en août ? Sans doute contribuerons-nous à financer un logement s’il est condamné à retourner dans le camp, prévu pour 800 personnes, actuellement occupés par plus de 1500 réfugiés.

Dur, dur, tout cela. On ne s’y habitue pas. Et c’est bien. Mais il faut en parler. Se sentir soutenu. J’ai eu la chance de trouver cela en la personne de Pierre-Alain. Cela m’a fait du bien d’échanger avec lui. Partager. Evoquer mes doutes, mes questionnements, le sentiment difficile généré par la prise de conscience de mes limites. Il était agréable de le faire avec quelqu’un qui connaît cela mieux que moi. Avec quelqu’un qui parle non seulement ma langue, mais le même langage. Celui de la solidarité !

Merci Pierre-Alain pour tout ce que tu as apporté et donné !

Mary Wenker, présidente