Voici plus de six ans que notre association Choosehumanity est présente sur le terrain grec. J’y passe personnellement une grande partie de mon temps, et j’ai eu l’occasion d’y mener diverses actions, de l’accueil des requérant·e·s d’asile sur les plages de Chios à l’animation d’ateliers de relaxation, en passant par la prise en charge psychologique de personnes traumatisées, l’intervention en tant qu’interprète au plan médical ou juridique, la distribution de nourriture et de vêtements, l’hébergement de réfugié·e·s… Tout au long de ces années, je n’ai pu que contester et dénoncer des conditions qui se sont dégradées. Il est un domaine sans doute moins visible que d’autres, dont la presse ne parle que peu, n’ayant pas d’accès direct aux informations. J’évoque ici le domaine juridique.

En vertu du droit international et de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, toute personne craignant pour sa sécurité est en droit de déposer une demande d’asile dans le pays où son chemin d’exilée l’a amenée. En principe, il suffit de se rendre dans un poste de police, d’exprimer le souhait d’obtenir une protection internationale. Cette personne sera ensuite accompagnée dans un centre d’enregistrement où la procédure pourra démarrer.

En Grèce, pays mandaté par l’Union Européenne pour accueillir les milliers de requérants d’asile qui s’y réfugient et mettre en œuvre les procédures ad hoc pour vérifier si ces personnes répondent (ou non) aux critères de l’asile, ces clauses ne sont pas toujours respectées. Surcharge de travail ? Méconnaissance des lois ? Formations déficientes ? Incompétence des fonctionnaires ? Les raisons peuvent être multiples.

Relevons tout d’abord que la Grèce ne compte que 6 centres d’enregistrement RIC (Registration and Identification Centers) pour déposer une demande de protection internationale. L’un se trouve à Evros, dans une région désormais reconnue pour sa violence, ses refoulements et le non-respect des droits humains. Les 5 autres sont établis en mer Egée, sur les îles de Lesbos, Samos, Chios, Leros et Kos. Selon un fonctionnaire de l’une de ces îles, il est impossible d’enregistrer des demandes émanant de personnes arrivées qui ne sont pas arrivées par voie maritime. Aucun RIC en Grèce continentale, ni même dans la capitale. Aucune possibilité de déposer une demande de protection internationale sans se rendre de sa propre initiative, en courant le risque d’être arrêté, parfois emprisonné, dans un centre éloigné.

Comme tant d’autres, Sinan (prénom d’emprunt) a contacté il y a quelques mois une organisation indépendante partenaire, spécialisée dans le soutien juridique des réfugiés en Grèce. Désespéré, l’homme se cache depuis plusieurs semaines en Grèce continentale. Il dit souffrir de troubles respiratoires. L’avocat contacté initie des démarches auprès du service d’asile en charge des personnes de sa nationalité. Un mois plus tard, aucune réponse ne lui est parvenue. Sinan, toujours plus souffrant, doit se faire hospitaliser. L’avocat choisit donc de contacter le RIC le plus proche du lieu où Sinan se trouve. La réponse ne tarde pas. Il est demandé à l’avocat de fournir une procuration, une attestation d’admission à l’hôpital ainsi qu’un permis de résidence. Des conditions impossibles à remplir…

Comment fournir une procuration sans vérifier au préalable l’identité de la personne qui la signe. On le sait, les réfugiés qui arrivent en Grèce ont souvent perdu leurs documents d’identité, quand ils ne leur ont pas été subtilisés par les passeurs…

Comment fournir une attestation d’hospitalisation, alors que le patient a été admis sans papiers, que l’hôpital a honoré le serment d’Hippocrate en acceptant malgré tout de le prendre en charge, tant sa santé était mise en danger. Demander un tel document à l’hôpital, c’est courir le risque de le voir accusé d’avoir accueilli un patient clandestin…

Fournir un document de résident ? Du pays d’origine ? Nous l’avons vu, les réfugiés arrivent souvent sans aucun document. Il incombe aux autorités de vérifier l’origine des demandeurs, les moyens pour le faire ne manquent pas.

En Grèce, comme dans tant d’autres pays, de telles conditions ne sont pas à remplir pour déposer une demande de protection internationale. Ainsi que précisé plus haut, il suffit de se présenter dans un poste de police pour que la procédure soit lancée.

Il est inadmissible qu’un service d’asile laisse lettre morte une demande qui émane d’un avocat contacté par une personne souhaitant obtenir telle protection. Inadmissible aussi que des fonctionnaires s’octroient la liberté de poser des conditions contraires à la loi sur l’asile. Inadmissible aussi que les RIC ne soient pas accessibles sur tout le territoire grec, à plus forte raison dans la capitale où des milliers de personnes sont aujourd’hui abandonnées sans ressources. Toutes les conditions semblent être réunies pour réduire drastiquement les demandes d’asile, dans un profond mépris de la loi et des droits humains fondamentaux. La Grèce semble avoir oublié qu’elle a été le berceau de la démocratie, et des droits y reliés.

Mary Wenker, présidente

Août 2022