Thessalonique, belle, accueillante, si différente d’Athènes. La « ville haute », dédale de ruelles pentues de la période ottomane, accolée à des remparts ponctués de tours et de monastères byzantins, s’aplanit peu à peu, embrassant la « ville basse » qui entoure un golfe avec une mer calme, bleu sombre. Les vestiges romains ou ottomans y sont nombreux et les musées remarquables ravissent la foule de touristes.
Les réfugiés sont invisibles, parqués dans une lointaine zone industrielle ou dans des camps éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres de la métropole. Dans la ville, quelques SDF grecs illustrent dureté et précarité sociale en faisant la manche ou se protégeant, entre un matelas pourri et une couche de cartons, de la chaleur accablante – le thermomètre annonce 43o l’après-midi, plus de 30o au meilleur de la nuit.
Retrouver l’ONG médicale de Samos – Medequali team – pour une nouvelle mission. Le travail y est encore restreint, limité à la bonne volonté d’ONG partenaires qui ouvrent un espace de consultation où l’équipe médicale se déplace avec les médicaments de base répartis dans valise, sac et boîtes plastiques.
Deux fois par semaine, dans une zone industrielle de la ville, « quartier rouge » où fleurissent les salons érotiques, l’équipe de Wave – accueil des migrants et distribution de repas – prête un petit local où un lit d’examen portable est déployé, permettant au médecin, à l’interprète, à l’infirmière ou à l’étudiante en médecine de consulter. Essentiellement des réfugiés arabophones, quelques afghans ou nord africains.
Les autres jours, départ en voiture pour un trajet de 50 minutes vers un centre communautaire proche du camp de Lagadikia où nous consultent arabophones et afghans. Aucun africain comme à Chios, Samos ou Athènes.
Pathologies habituelles : affections banales respiratoires, ORL, cutanées liées aux conditions de vie et à la chaleur ou états douloureux fréquents dus aux contractures et tensions musculaires touchant tête, nuque, dos, membres. Multiples dégâts dentaires. Traiter et soulager bien sûr. Surtout répéter et démontrer les positions, postures et mouvements pour une prévention efficace des récidives.
Puis alerte covid dimanche 19 juillet avec 2 patients positifs. Centre communautaire fermé. Travail avec masque FFP2 et gants… En quelques minutes, revivre le lock down de Samos en continuant de traiter les bobos habituels, jugés inintéressants par une volontaire qui n’a pas compris que l’intérêt est lié au patient et pas à une pathologie excitante… Le 23 juillet, le cas intéressant… pour certains. Une crise épileptique qui se répète chez un jeune homme de 25 ans. Mobilisation générale d’une partie des volontaires alors que le reste de l’équipe consulte, consulte encore, un téléphone en main pour une traduction à distance en attendant l’ambulance qui mettra près de trois heures pour arriver.
Pas de prise en charge possible des pathologies chroniques qui doivent être adressées, comme quelques autres situations dramatiques, notamment psychiatriques, à l’hôpital grec, parfois à Médecins du Monde mais toujours avec de longs délais d’attente. Comme toujours, essayer de trouver un rendez-vous de dentiste pour le soin urgent d’une ou plusieurs dents brisées, cariées, déchaussées.
Difficulté enfin devant le fossé culturel et sociétal pour aider une femme qui a tous les signes de violence intra familiale : hématomes sous-cutanés multiples et mutisme devant son époux, son fils expliquant qu’elle se mord en cas de crises…
Et comme souvent, un atelier d’enseignement « rhumatologie » pour l’équipe soignante, et un cours de santé et prévention dentaire pour les réfugiés où, immédiatement reconnu, j’ai eu le bonheur de revoir avec émotion et plaisir un africain rencontré à Chios il y a déjà 7 ans.
Au fil des années, la situation des migrants «acceptés, reconnus à être protégés» se détériore. Ils restent sans soutien pour le quotidien suite aux décisions gouvernementales qui se durcissent malgré la protection internationale accordée. Pour eux l’aide, restreinte, se raréfie au fil des mois avec un accès impossible au système grec de santé sans avoir emploi ou logement. Tous les autres, «les rejetés», sont totalement oubliés et ignorés à l’exception d’employeurs qui profitent de leur statut d’illégal pour perpétuer l’esclavagisme…
Les scandales répétés sur les conditions d’accueil et les rejets («pushback ») tant terriens que maritimes ne font pas bouger le gouvernement malgré les rapports internationaux accablants et la condamnation de la Grèce par Strasbourg.
La Grèce peut et surtout doit mieux faire, comme la Suisse et les autres pays de l’UE pour appliquer les conventions de Genève.