Echos de Thessalonique

Thessalonique, belle, accueillante, si différente d’Athènes.  La « ville haute », dédale de ruelles pentues de la période ottomane, accolée à des remparts ponctués de tours et de monastères byzantins, s’aplanit peu à peu, embrassant la « ville basse » qui entoure un golfe avec une mer calme, bleu sombre. Les vestiges romains ou ottomans y sont nombreux et les musées remarquables ravissent la foule de touristes.

Les réfugiés sont invisibles, parqués dans une lointaine zone industrielle ou dans des camps éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres de la métropole.  Dans la ville, quelques SDF grecs illustrent dureté et précarité sociale en faisant la manche ou se protégeant, entre un matelas pourri et une couche de cartons, de la chaleur accablante – le thermomètre annonce 43o l’après-midi, plus de 30o au meilleur de la nuit.

 

Retrouver l’ONG médicale de Samos – Medequali team – pour une nouvelle mission. Le travail y est encore restreint, limité à la bonne volonté d’ONG partenaires qui ouvrent un espace de consultation où l’équipe médicale se déplace avec les médicaments de base répartis dans valise, sac et boîtes plastiques.

Deux fois par semaine, dans une zone industrielle de la ville, « quartier rouge » où fleurissent les salons érotiques, l’équipe de Wave – accueil des migrants et distribution de repas –  prête un petit local où un lit d’examen portable est déployé, permettant au médecin, à l’interprète, à l’infirmière ou à l’étudiante en médecine de consulter. Essentiellement des réfugiés arabophones, quelques afghans ou nord africains.

Les autres jours, départ en voiture pour un trajet de 50 minutes vers un centre communautaire proche du camp de Lagadikia où nous consultent arabophones et afghans. Aucun africain comme à Chios, Samos ou Athènes.

Pathologies habituelles : affections banales respiratoires, ORL, cutanées liées aux conditions de vie et à la chaleur ou états douloureux fréquents dus aux contractures et tensions musculaires touchant tête, nuque, dos, membres. Multiples dégâts dentaires. Traiter et soulager bien sûr. Surtout répéter et démontrer les positions, postures et mouvements pour une prévention efficace des récidives.

Puis alerte covid dimanche 19 juillet avec 2 patients positifs. Centre communautaire fermé. Travail avec masque FFP2 et gants… En quelques minutes, revivre le lock down de Samos en continuant de traiter les bobos habituels, jugés inintéressants par une volontaire qui n’a pas compris que l’intérêt est lié au patient et pas à une pathologie excitante… Le 23 juillet, le cas intéressant… pour certains. Une crise épileptique qui se répète chez un jeune homme de 25 ans. Mobilisation générale d’une partie des volontaires alors que le reste de l’équipe consulte, consulte encore, un téléphone en main pour une traduction à distance en attendant l’ambulance qui mettra près de trois heures pour arriver.

Pas de prise en charge possible des pathologies chroniques qui doivent être adressées, comme quelques autres situations dramatiques, notamment psychiatriques, à l’hôpital grec, parfois à Médecins du Monde mais toujours avec de longs délais d’attente. Comme toujours, essayer de trouver un rendez-vous de dentiste pour le soin urgent d’une ou plusieurs dents brisées, cariées, déchaussées.

Difficulté enfin devant le fossé culturel et sociétal pour aider une femme qui a tous les signes de violence intra familiale : hématomes sous-cutanés multiples et mutisme devant son époux, son fils expliquant qu’elle se mord en cas de crises…

Et comme souvent, un atelier d’enseignement « rhumatologie » pour l’équipe soignante, et un cours de santé et prévention dentaire pour les réfugiés où, immédiatement reconnu, j’ai eu le bonheur de revoir avec émotion et plaisir un africain rencontré à Chios il y a déjà 7 ans.

Au fil des années, la situation des migrants «acceptés, reconnus à être protégés» se détériore. Ils restent sans soutien pour le quotidien suite aux décisions gouvernementales qui se durcissent malgré la protection internationale accordée. Pour eux l’aide, restreinte, se raréfie au fil des mois avec un accès impossible au système grec de santé sans avoir emploi ou logement. Tous les autres, «les rejetés», sont totalement oubliés et ignorés à l’exception d’employeurs qui profitent de leur statut d’illégal pour perpétuer l’esclavagisme…

Les scandales répétés sur les conditions d’accueil et les rejets («pushback ») tant terriens que maritimes ne font pas bouger le gouvernement malgré les rapports internationaux accablants et la condamnation de la Grèce par Strasbourg.

La Grèce peut et surtout doit mieux faire, comme la Suisse et les autres pays de l’UE pour appliquer les conventions de Genève.

L’ours et la valise

Lorsqu’elle enlace l’énorme peluche reçu d’une association partenaire, ses yeux pétillent et témoignent d’une enfance traversée à pas de géants. Issue d’une culture où travailler à moins de 10 ans est monnaie courante, se retrouver comme elle mère à tout juste treize ans ne surprend pas vraiment, elle avait serré l’ours très fort contre elle en s’écriant « désormais, quand je serai triste, j’aurais quelqu’un auprès de qui me blottir ! ».

Lorsque je lui demande ce qu’elle envisage de faire, son front se plisse, ses yeux s’assombrissent, elle a le regard noir d’une femme d’âge mûr qui porte sur elle les stigmates d’un parcours complexe, des responsabilités à assumer, pour elle, mais aussi pour ce fils resté au pays, fruit d’un viol, à qui elle rêve de pouvoir offrir ce qu’elle n’a jamais reçu : sécurité et éducation.

Dix-huit ans à peine et déjà trois années d’errance et de solitude sur le chemin de l’exil. Le Soudan, la Libye, la Turquie… La traversée de la Méditerranée dans une embarcation de fortune, l’arrivée à Samos et le séjour dans sa jungle où bien que mineure non-accompagnée, elle devra se faire sa place parmi les adultes et parviendra à survivre tant bien que mal.

Sa protection internationale une fois obtenue, elle tente de mener sa vie dans la capitale, mais se rend très vite compte des dangers qui guettent une jeune et jolie presqu’encore adolescente à la peau d’ébène. Elle choisit de partir en Suisse, ce pays dit «à haute tradition humanitaire », qui balaie sa demande sitôt sa majorité atteinte. La faute aux accords de Dublin. La faute à une méconnaissance de ce qui attend les réfugiés statutaires en Grèce. A plus forte raisons si ces personnes sont noires. Et femmes.

C’est au matin du 15 mai dernier que la jeune fille est convoquée dans le bureau du foyer où elle réside. On lui demande de rendre la clé de sa chambre, on la menotte, on jette pêle-mêle dans un gros sac en plastique toutes ses affaires et on l’emmène sous contrainte à l’aéroport de Zürich. Direction la Grèce. Retour case départ, ou presque.

Aujourd’hui, Safiya tente de faire entrer dans une minuscule valise un maximum de vêtements. Avec ses huit kilos règlementaires, elle veut tenter sa chance ailleurs, une fois encore. Deux mois de galère à Athènes, c’est assez. Elle a pourtant fait de gros efforts pour conquérir son autonomie. Elle a trouvé un emploi, mais Impossible de signer le contrat de travail sans sécurité sociale (AMKA) et numéro fiscal (AFM), lesquels s’obtiennent, pour les réfugiés, sur présentation d’un contrat de travail ou contrat de bail (lequel ne peut être établi que sur présentation du AFM)… Bref … une approche « à la grecque », sans logique aucune, très éloignée de ce qui figure sur papiers…

Aujourd’hui, Safiya va prendre un nouvel avion.

Destination un autre pays européen.

Avec un espoir, tout petit certes.

Si petit que même sa valise bouclée, elle doute.

Mais se dit soulagée de savoir que la porte de notre appartement à Athènes lui reste grande ouverte.

Qu’ajouter ?

Mary / Athènes le 30 juin 2024

Athènes au seuil de l’hiver 2023

Octobre et novembre 2023

La moiteur douce de l’automne enveloppe les milliers de touristes qui débarquent d’avions bondés, en quête du frisson balnéaire promis par les catalogues des agences de voyage avec une petite touche d’archéologie qui transformera leur semaine all inclusive en voyage culturel inoubliable…

Se sentir en marge, hors de la marche du monde, dans la longue file d’attente d’un taxi qui m’emmènera avec deux pleines valises  – médicaments, matériel médical, un peu de chocolat aussi – à la place Victoria, à deux stations de métro de Monastiraki où les hordes de touristes s’agglutinent sur les terrasses devant leur assiette de souvlaki et de salade grecque, levant rarement les yeux pour admirer les vestiges illuminés de l’Acropole, ou encore s’émerveillant du folklore local près de Syntagma.

Le contraste est rude avec les familles de sans-abris de la place Victoria qui seront chassées sans aucune émotion en quelques minutes- coup de poing dans la fourmilière- par les duos de policiers qui tuent les nombreuses heures de faction un gobelet de café dans une main, une cigarette dans l’autre, indifférents à la marche du monde et aux voisins miséreux.

Revoir de nombreux patients, expliquer les résultats des examens effectués dans les hôpitaux qui ne font jamais l’objet d’information ni d’examen clinique, illustrer les consignes de protection articulaire, répéter les conseils d’alimentation et d’hydratation, distribuer quelques médicaments de base pour une automédication sûre et efficace, accompagner un de nos locataires chez la psychologue et actualiser le traitement avec le psychiatre.

Continuer sans relâche de soutenir psychologiquement Sou.., Tid…. Pau.., qui attendent une décision administrative depuis plus de cinq ans et dont les dates de dépôt des recours sont sans cesse repoussées malgré la diligence des avocats

Se sentir peu efficace, voire impuissant en médecine de rue par manque de moyens, près de la place Omonia, où se rassemblent sans-abris, réfugiés, toxicomanes

Evaluer les documents médicaux d’une jeune gambienne, à la demande de l’assistante sociale d’une ONG partenaire pour lui éviter la rue. Elle doit quitter dans les 48 heures le camp qui l’héberge depuis de nombreux mois, faute de place selon les autorités grecques de l’asile, malgré son traitement médical lourd et donner le feu vert pour l’accueillir dans l’appartement de Choosehumanity, puis l’y installer. Refaire un bilan médical complet pour mieux saisir ses multiples problèmes médicaux pulmonaires, cardiaques, rhumatologiques et organiser le suivi du traitement.

Mettre la main à la pâte avec le trio de choc de Choosehumanity présent à Athènes : Mary, Caroline, Paul, puis finir la journée de travail par la nécessaire récupération des forces…

Assister les protégés, acheter des provisions de base et les bons de nourriture, distribuer le financement mensuel des loyers, réparer le chauffe-eau, la fuite d’eau d’un lavabo, exterminer quelques nuisibles, améliorer l’intendance, relancer la convivialité avec des repas en commun dans un petit restaurant afghan ou déguster dans un des appartements un repas de spaghettis sauce bolognaise préparé par Caroline, ou de poulet mafé par Mary – entretenir la solidarité et l’amitié…

S’inquiéter tous ensemble de la disparition de P., retrouvé avec soulagement après une semaine d’inquiétude dans un hôpital, participer aux actions de SOS refugees, collaborer avec Light House Relief et son assistante sociale, préparer puis distribuer des repas chauds dans la rue avec Help Your Neighbor.

Écouter avec tristesse les propos de désespoir et d’angoisse du tenancier palestinien d’un petit café place Amerikis…

Rencontrer par hasard un couple de volontaires irlandais qui se sont engagés à participer au financement de quelques projets. Grand merci à eux.

Merci à vous toutes et tous de nous soutenir et d’aider Choosehumanity à apporter un peu d’humanité à Athènes, à Fribourg, à Lausanne et ailleurs en Suisse, avec l’espoir qu’en Grèce  et ici  mais aussi en Palestine, en Israël, au Liban, en Syrie et partout dans le monde la paix, la fraternité, le respect du voisin efface la souffrance de nos frères démunis et souvent abandonnés.

Rappel de ce proverbe kabyle, découvert dans le roman d’un auteur congolais : « En me promenant dans le désert, j’ai vu au loin un animal sauvage. En m’approchant, j’ai vu que c’était un homme. En m’approchant davantage, j’ai reconnu mon frère ».

Avec amitié,

Doc Pierre

 

 

Message de Doc Pierre – février 2023

Dans la valise, les médicaments pour apaiser et soulager les défaillances physiques, achetés par les dons des amis qui permettront aussi d’acheter quelques vêtements d’hiver pour ceux qui n’en ont pas.

Dans la tête, l’énergie de poursuivre la tâche sans relâche, malgré la colère devant tant de misère humaine et l’aveuglement de l’Europe.

Un séjour intense, une fois encore, ponctué par de multiples et diverses actions… Distribuer l’aide fournie chaque mois par Choosehumanity (bons d’achats de nourriture et financement du loyer)… Retrouver avec un immense plaisir nos « bénéficiaires » et en profiter pour dispenser des soins, répéter les conseils médicaux de posture, d’alimentation, d’hydratation ou tout simplement fraterniser en reparlant de Chios, de Samos, d’Athènes. Entre les actions médicales, participer aux distributions de nourriture de SOS Refugees Athens, notre organisation partenaire à Athènes. Voir de nouveaux patients dans l’appartement de Choosehumanity, dans leur chambre ou sous un pas de porte. Mais comment apaiser le désespoir, l’anxiété du présent, la  peur de l’avenir, la précarité avec du paracétamol ? Revoir cet interprète aussi, parqué dans l’immonde camp de Ritsona, abandonné de tous, et particulièrement de l’une des deux multinationales de l’humanitaire pour laquelle il a travaillé plus de deux ans.

Dans la rue, je suis reconnu et me fait agripper par un jeune africain pris en charge à Samos en 2021. Il ne peut cacher son émotion…Était-ce le fait de se revoir ou revivait-il l’hémorragie sévère qui fut à cette époque difficilement contrôlée avec les moyens du bord ?

Lors d’un repas partagé dans la chaleur confortable d’un petit restaurant grec, je me réjouis de réaliser que le mélange des cultures engendre également des élans de solidarité. Quel bonheur de voir les sourires d’une quinzaine de personnes réfugiées présentes ce soir-là-

Athènes est paralysée par le froid et la neige en cette fin du mois de janvier. Vient ensuite la pluie, qui se calme peu à peu. Dans le ciel, la grisaille persiste. Pas un rayon de soleil pour réchauffer  les réfugiés qui déambulent aux places Victoria et Amerikis, et dont les appartements n’ont pas de chauffage. Quant à ceux qui dorment dans la rue… terrible… Comme cette réfugiée déjà âgée, que Mary a rencontrée par hasard et qui a pu occuper quelques jours la chambre d’un petit hôtel, avant d’être placée dans un appartement, ceci grâce aux dons des personnes qui nous soutiennent.

A deux stations de métro de là, autour des places Syntagma et Monastiraki, touristes et grecs privilégiés flânent  bien emmitouflés. Les portes des boutiques de luxe restent grandes ouvertes laissant s’échapper la chaleur élevée des intérieurs surchauffés. La conscience écologique et la crise énergétique ne touchent pas tout le monde de manière identique…

Pierre-Alain Schmied

Littérature de l’asile

Notre expérience de terrain en Grèce, nos rencontres privilégiées avec des personnes qui nous ont accordé leur confiance, ont donné naissance à deux nouvelles publications. Après Échos de la mer Égée – voix de réfugiés (L’Harmattant, 2020), ce sont un album illustré et une nouvelle que signe Mary Wenker, avec toujours pour objectif sensibiliser le public à la dure réalité de l’exil. Des outils aussi, à déployer lors de formation destinées aux acteurs des milieux éducatifs et des classes.

 

Hasan venu d’ailleurs, album pour enfants paru aux éditions LEP en septembre 2023, s’inspire d’une rencontre au camp de Vial à Chios. Lorsque je rencontre la famille d’Ali, et qu’il apprend que je vis en Suisse, il s’exclame “mon fils est là-bas, nous ne l’avons pas revu depuis 6 ans”. C’est en effet à la frontière irano-turque que l’enfant réussi à passer la frontière alors que sa famille est repoussée. A onze ans, il parviendra à faire seul le chemin jusqu’en Suisse où il sera accueilli comme mineur non-accompagné. Cette rencontre fortuite a permis de lancer une procédure qui, deux ans plus tard, permettra un regroupement familial à Berne (Suisse).

 

 

L’album est ponctué de questions qui s’adressent au lecteur, lui permettant d’exprimer ses questionnements et émotions. Il est accompagné d’un dossier pédagogique réalisé avec la LICRA de Genève. A diffuser largement pour permettre au public de mieux saisir les enjeux de l’exil !

En décembre 2023, la nouvelle The Game, primée lors d’un concours, est publiée aux Editions du Poisson Volant.  L’histoire s’inspire du vécu d’un jeune malien que nous avons hébergé dans notre appartement à Athènes. Durant tout son voyage de Grèce en Hollande, nous sommes restés en contact par téléphone. “Demain, je vais essayer le game à nouveau”…. A savoir, la tentative de passer une frontière.

Publiée sous forme de leporello, illustrée par des oeuvres de papier découpé par Sylvain Monney, la nouvelle est accompagnée d’un poadcast et des voix de Michel Voïta et Yvette Théraulaz.

Un objet d’art à s’offrir, à offrir, à diffuser pour permettre, une fois de plus, de mieux comprendre ce que vivent les personnes réfugiées sur le chemin de l’exil !

Athènes :  12ème séjour en Grèce

Rien de nouveau. Le décor est figé, semblable aux séjours précédents.

Au pied de l’Acropole, difficile de se frayer un chemin tant la foule de touristes est compacte. A deux arrêts de métro, contraste complet dans le décor sinistre des places Victoria et Amerikis écrasées par la chaleur, une foule miséreuse tourne en rond, piétine dans un déplacement continuel qui évoque la mise en scène d’une tragédie sur une scène de théâtre. C’est la fournaise chaque après-midi : 35 degrés. Quête d’un peu d’ombre offerte par les arbres en attendant le coucher du soleil. Les femmes afghanes ou arabes conversent, rient parfois. Les hommes se murent dans le silence, se mesurant parfois au jeu d’échec ; des adolescents tapent sur une bouteille remplie d’eau, ou par chance parfois sur un ballon. Femmes africaines ou orientales avec petits enfants dans leur poussette ; les solitaires sont concentrés sur leur écran de téléphone ; quelques éclats de voix qui expriment le désespoir. Au bas de Victoria, des SDF grecs, des migrants fouillent dans les containers à la recherche de carton, cannettes alu à recycler, pièces de vêtements troués, voire un peu de nourriture…

Plusieurs jours par semaine, SOS Refugees, ONG partenaire de Choosehumanity, distribue généreusement des sacs de nourriture : pâtes, fromage, lait, eau, légumes frais, yaourts, lentilles, pain etc.

A quelques pas, grandes pancartes d’un groupe de Témoins de Jéhova  qui distribue « la bonne parole ».

Situation générale plus difficile tant pour les réfugiés que pour les Grecs. Les mobilisations et marches se multiplient pour dénoncer la précarité, le démantèlement social, le dysfonctionnement hospitalier. Défilés hebdomadaires devant le parlement, sit-in sur la rue Aristotelous au syndicat du personnel soignant, grève générale des transports le 21 septembre, festival Spoutnik regroupant grecs, migrants et ONG.

Consultations médicales aussi bien avec les réfugiés qu’avec des SDF au hasard des tournées. Mesurer son impuissance devant la dégradation des conditions de vie des réfugiés, qu’ils soient rejetés ou qu’ils aient la protection internationale. Plusieurs ont décidé de rejoindre la France ou l’Allemagne par la route : Macédoine, Bosnie, Croatie etc. Difficile, même en été. Plusieurs appels d’urgence de ceux qui se sont fait agressés et dépouillés… Et dire que certains préparent leur départ et risquent de se retrouver dans le froid d’automne et la neige d’hiver.

Consulter sur des pas de porte, dans la rue, ou dans l’appartement de Choosehumanity. Se débrouiller pour trouver les médicaments prescrits par l’hôpital, voire les acheter grâce à vos dons. Y ajouter parfois de la nourriture au vu de la dénutrition de certains. Un peu moins de médecine et plus de social…

Pester contre l’ONG S…P…. dont le mutisme a compromis une partie de l’action médicale.

Se battre pour améliorer les prises en charge médicale et psychiatrique souvent difficiles et dont la qualité dépend de traducteurs plus ou moins compétents et aux horaires fantaisistes.

Dans cette grisaille ambiante, belle soirée et un peu de chaleur humaine avec un repas en commun, festif, réunissant une douzaine de protégés dans un petit restaurant afghan en compagnie de Mary Wenker, présidente de Choosehumanity et de Dimitris, responsable de SOS Refugees.

Dans cette misère humaine, ravi de voir un protégé qui s’en sort peu à peu. Il a trouvé un bon travail dans une entreprise française et a pu quitter un studio sordide pour un petit appartement à distance du ghetto où se concentrent les réfugiés.

C’est nettement plus difficile pour deux traducteurs qui restent prisonniers de leur passé en travaillant avec des ONG dédiées aux migrants. Il faudrait qu’ils puissent se concentrer sur l’apprentissage du grec, puis compléter ensuite leur formation interrompue par la fuite de leur pays. Mais comment le faire quand on s’épuise 10 heures par jour pour 600 euros par mois… Comment réapprendre à vivre libre et arracher l’étiquette « réfugié »  qui conditionne son propre regard et celui des autres ?

Le futur reste sombre : nouvelles arrivées sur les îles de la mer Égée depuis la Turquie, terrible situation à Samos pour les migrants enfermés derrière les doubles barrières de barbelés du nouveau camp, suppression des aides au logement, à la nourriture, aux soins, verrouillage du camp de Ritsona où s’entassent les déboutés d’asile ;  tous les messages reçus ne sont que tristesse et désespoir.

Merci à vous toutes et tous de votre aide, de vos encouragements, de vos dons. Imaginez le sourire des dizaines de migrants quand je leur dis que ni vous, ni Choosehumanity, ni moi ne les abandonnerons.

Doc Pierre

30 septembre 2022

Quid du droit d’asile au pays de la démocratie ?

Voici plus de six ans que notre association Choosehumanity est présente sur le terrain grec. J’y passe personnellement une grande partie de mon temps, et j’ai eu l’occasion d’y mener diverses actions, de l’accueil des requérant·e·s d’asile sur les plages de Chios à l’animation d’ateliers de relaxation, en passant par la prise en charge psychologique de personnes traumatisées, l’intervention en tant qu’interprète au plan médical ou juridique, la distribution de nourriture et de vêtements, l’hébergement de réfugié·e·s… Tout au long de ces années, je n’ai pu que contester et dénoncer des conditions qui se sont dégradées. Il est un domaine sans doute moins visible que d’autres, dont la presse ne parle que peu, n’ayant pas d’accès direct aux informations. J’évoque ici le domaine juridique.

En vertu du droit international et de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, toute personne craignant pour sa sécurité est en droit de déposer une demande d’asile dans le pays où son chemin d’exilée l’a amenée. En principe, il suffit de se rendre dans un poste de police, d’exprimer le souhait d’obtenir une protection internationale. Cette personne sera ensuite accompagnée dans un centre d’enregistrement où la procédure pourra démarrer.

En Grèce, pays mandaté par l’Union Européenne pour accueillir les milliers de requérants d’asile qui s’y réfugient et mettre en œuvre les procédures ad hoc pour vérifier si ces personnes répondent (ou non) aux critères de l’asile, ces clauses ne sont pas toujours respectées. Surcharge de travail ? Méconnaissance des lois ? Formations déficientes ? Incompétence des fonctionnaires ? Les raisons peuvent être multiples.

Relevons tout d’abord que la Grèce ne compte que 6 centres d’enregistrement RIC (Registration and Identification Centers) pour déposer une demande de protection internationale. L’un se trouve à Evros, dans une région désormais reconnue pour sa violence, ses refoulements et le non-respect des droits humains. Les 5 autres sont établis en mer Egée, sur les îles de Lesbos, Samos, Chios, Leros et Kos. Selon un fonctionnaire de l’une de ces îles, il est impossible d’enregistrer des demandes émanant de personnes arrivées qui ne sont pas arrivées par voie maritime. Aucun RIC en Grèce continentale, ni même dans la capitale. Aucune possibilité de déposer une demande de protection internationale sans se rendre de sa propre initiative, en courant le risque d’être arrêté, parfois emprisonné, dans un centre éloigné.

Comme tant d’autres, Sinan (prénom d’emprunt) a contacté il y a quelques mois une organisation indépendante partenaire, spécialisée dans le soutien juridique des réfugiés en Grèce. Désespéré, l’homme se cache depuis plusieurs semaines en Grèce continentale. Il dit souffrir de troubles respiratoires. L’avocat contacté initie des démarches auprès du service d’asile en charge des personnes de sa nationalité. Un mois plus tard, aucune réponse ne lui est parvenue. Sinan, toujours plus souffrant, doit se faire hospitaliser. L’avocat choisit donc de contacter le RIC le plus proche du lieu où Sinan se trouve. La réponse ne tarde pas. Il est demandé à l’avocat de fournir une procuration, une attestation d’admission à l’hôpital ainsi qu’un permis de résidence. Des conditions impossibles à remplir…

Comment fournir une procuration sans vérifier au préalable l’identité de la personne qui la signe. On le sait, les réfugiés qui arrivent en Grèce ont souvent perdu leurs documents d’identité, quand ils ne leur ont pas été subtilisés par les passeurs…

Comment fournir une attestation d’hospitalisation, alors que le patient a été admis sans papiers, que l’hôpital a honoré le serment d’Hippocrate en acceptant malgré tout de le prendre en charge, tant sa santé était mise en danger. Demander un tel document à l’hôpital, c’est courir le risque de le voir accusé d’avoir accueilli un patient clandestin…

Fournir un document de résident ? Du pays d’origine ? Nous l’avons vu, les réfugiés arrivent souvent sans aucun document. Il incombe aux autorités de vérifier l’origine des demandeurs, les moyens pour le faire ne manquent pas.

En Grèce, comme dans tant d’autres pays, de telles conditions ne sont pas à remplir pour déposer une demande de protection internationale. Ainsi que précisé plus haut, il suffit de se présenter dans un poste de police pour que la procédure soit lancée.

Il est inadmissible qu’un service d’asile laisse lettre morte une demande qui émane d’un avocat contacté par une personne souhaitant obtenir telle protection. Inadmissible aussi que des fonctionnaires s’octroient la liberté de poser des conditions contraires à la loi sur l’asile. Inadmissible aussi que les RIC ne soient pas accessibles sur tout le territoire grec, à plus forte raison dans la capitale où des milliers de personnes sont aujourd’hui abandonnées sans ressources. Toutes les conditions semblent être réunies pour réduire drastiquement les demandes d’asile, dans un profond mépris de la loi et des droits humains fondamentaux. La Grèce semble avoir oublié qu’elle a été le berceau de la démocratie, et des droits y reliés.

Mary Wenker, présidente

Août 2022

Première expérience à Athènes avec l’ONG allemande Medical Volunteers International

Novembre 2021. Pierre-Alain Schmied, médecin bénévole, membre du comité de Choosehumanity, partage ici ses observations au retour d’un premier séjour à Athènes et d’une première collaboration avec l’association Medical Volunteers International (MVI). Merci à lui pour son engagement toujours exemplaire !

Une équipe dynamique, internationale, enthousiaste,  mais avec des conditions de travail et des offres de soins restreintes, plus difficiles qu’à Samos avec Medequali. Les consultations sont dispersées dans plusieurs sites appartenant à d’autres ONG,  avec installations précaires,  parfois sans lit d’examen. On se balade avec un sac de médicaments, au choix très limité … En raison de la pandémie, il n’y a pas de consultation ouverte. Les réfugiés doivent envoyer un message WhatsApp pour solliciter un rendez-vous. Pour beaucoup, la communication est difficile parce qu’ils n’ont pas de téléphone ou à cause du manque de traducteurs francophones ou arabophones. La prise en charge de situations urgentes est quasi impossible.

Les patients sont tous dans une précarité extrême, souvent dénutris. Depuis le 1er novembre, le pass covid est obligatoire pour accéder aux cafés, terrasses, magasins et supermarchés. Cette mesure est imposée aussi pour les consultations médicales. L’accès aux soins est dès lors impossible pour les illégaux…

En dehors de MVI, il reste l’improvisation pour essayer de répondre aux regards de détresse et demandes de soins. Expérience particulière de consulter dans la rue ou la place Victoria en épuisant les réserves personnelles de médicaments, en enseignant les positions et mouvements pour vivre avec son mal de dos, en ajoutant souvent des bons de nourriture ou en achetant des vestes ou chaussures à ceux qui n’ont que des T-shirts et des nu-pieds, grâce à l’action nécessaire de Choosehumanity… Des petits riens qui redonnent un peu d’humanité aux oubliés d’Athènes.

C’est ainsi que j’ai vu sur un pas de porte Madame F, déboutée, donc sans carte de sécurité sociale, qui a depuis une semaine un abcès du doigt qui s’étend progressivement à tout le bras.  Accès aux soins refusé par deux ONG médicales consultées dont une puissante et célèbre « multinationale”. Perplexité en regardant la publicité d’une autre ONG qui annonce des soins médicaux et dentaires spécialisés mais qui soit refuse la consultation soit impose un délai de 2 à 6 mois.

J’ai revu I., déjà mentionné dans un précédent billet, renvoyé pour la 2ème fois de l’hôpital sans examen et sans traitement d’un volumineux kyste comprimant la trachée parce que le  traducteur n’est pas au rendez-vous.

Avec la présidente de Choosehumanity : visite au camp Ritsona, à 1 heure de voiture d’Athènes, pour retrouver des patients de Chios ou Samos. Dégradation importante des conditions de vie dans le camp par rapport au début septembre. La distribution de l’aide financière du UNHCR est confiée à la Grèce depuis l’automne, mais le système est en panne. Aucune aide versée depuis septembre. Toutes les ONG qui distribuaient vêtements et nourriture ou organisaient l’école ou le sport ont été exclues. La nourriture correcte manque. Les barquettes pleines de nourriture douteuse jonchent le sol. Les délais pour une aide médicale sont longs. Aucun médicament donné ; juste une ordonnance qui reste dans les poches puisque personne n’a des euros pour payer la pharmacie qui est à 20 km…

Terrible donc…et malheureusement les conditions de vie des migrants vont encore se durcir…

Tristesse d’être  si démuni devant tant de besoins…

Merci à vous toutes et tous de votre aide, de votre solidarité et de votre empathie.

Retour à Athènes en février avec MVI pour quatre semaines. Car bien sûr, « la lutte continue »…

Doc Pierre

 

Athènes, à bientôt… Samos, adieu – de la jungle à la prison

Retour d’Athènes après une semaine de séjour. Retrouvailles magnifiques et émouvantes d’une vingtaine de réfugiés qui restent tous dans une situation précaire. Distribution d’un peu d’aide (grâce à la générosité d’amis et de Choosehumanity) pour améliorer leur alimentation ou acheter les médicaments nécessaires et essayer d’apaiser leurs angoisses persistantes du lendemain.  Escapade aussi pour aller en voir d’autres au camp de Ritsona à 1h de voiture d’Athènes. J’y ai retrouvé  I… qui est toujours en attente du traitement d’un volumineux kyste thyroïdien et de Y. qui vient d’être  opéré de sa fracture de mâchoire de février ! Sans oublier D. un de mes traducteurs à Samos.

J’ai vu et évalué une fillette de 2 ans, atteinte de Noma, affection dramatique qui détruit les tissus de la face. La moitié de sa bouche et d’une joue a totalement disparu, laissant un trou béant… Pas moyen d’envisager une reconstruction chirurgicale avec le rejet d’asile de toute sa famille, la maman et ses quatre enfants  qui se terrent dans un petit appartement, sans plus sortir et sans futur.

Plus positif : un appartement a été trouvé pour des protégés de Choosehumanity, un 2ème est réservé. Les baux seront signés par la présidente de Choosehumanity  pour accueillir et loger 5 réfugiés, avec des places en réserve  pour des situations urgentes à venir.

Soulagement pour eux, même si il a fallu énergie et enthousiasme pour repeindre l’espace (magnifique travail des réfugiés, sous la baguette de Mary Wenker !), trouver l’ameublement et le nécessaire pour les accueillir simplement mais dignement, grâce à la générosité de Martine R.

Bon contact avec la coordinatrice d’une ONG médicale avec essai de collaboration fin octobre.  Hélas, je n’irai plus à Samos avec le départ de Medequaliteam de l’île, suite aux conditions inacceptables imposées par l’administration grecque.  Sentiment d’impuissance et de tristesse d’abandonner les quelques amis qui restent sur l’île et qui seront prisonniers derrière les barbelés du nouveau camp.

Image terrible reçue dimanche soir 19 septembre de S…syrien : nouvel incendie ravageant la jungle de Samos, heureusement sans blessés. Dernier épisode d’une longue série traumatisant toute l’île : réfugiés, bénévoles d’ong, grecs insulaires, le jour avant le début de transfert des réfugiés restants dans le nouveau camp sous le regard voyeur de journalistes. De la jungle à la prison… Payé par l’Union Européenne, le camp  ressemble à une prison,  loin de tout et surtout des regards. En sortir la journée nécessitera contrôle et justification. Il y aura quelques bus pour se déplacer vers la ville, trajet payant  Toute sortie en sera interdite le soir et la nuit.

Tristesse. Avec raison, Medequaliteam n’a pas accepté le flou et les conditions imposées par l’administration grecque. L’ONG abandonne les migrants, ferme la clinique dans une semaine, ne travaillera plus à Samos. Une réserve de 3 mois de médicaments est donnée à chaque patient souffrant d’une maladie chronique : hypertension, maladie cardio-vasculaire, diabète, etc.  A  ce jour, incertitude absolue quant à l’aide et soins médicaux de base que pourront recevoir les « prisonniers ». C’est bien sûr un soulagement de savoir que l’ancien camp va fermer mais l’inquiétude reste immense : que va-t-il se passer pour les migrants dans les îles à l’heure où les renvois en Turquie se multiplient, les murs aux frontières s’allongent, et les droits humains  sont bafoués ?

Ne les oubliez pas, qu’ils soient ici, là-bas, ailleurs dans le monde

Doc Pierre, septembre 2021

Le billet de Doc Pierre – juillet 2021

Le 6ème voyage sur l’île s’est achevé fin juin avec une nouvelle collaboration entre Medequaliteam et Choosehumanity. Semaines difficiles à cause du frein des autorités qui ralentissent l’accès au traitement des pathologies sévères et compliquées et par des situations de plus en plus précaires et incertaines, pour tous les réfugiés, que l’asile soit rejeté ou accepté.

Futur incertain avec le transfert en septembre dans un nouveau camp, en pleine nature, à 8 km de la ville : multiples containers de 6 places alignés les unes à côté des autres, sans aucune ombre à l’extérieur, sans arbre, le tout entouré de barbelés pour un total de 1200 places. Vraie prison.

Le service d’asile a expulsé de Samos près de 4000 migrants depuis janvier. Impossible d’en connaître les critères: il y a les rejetés, ceux qui attendent une décision, les réfugiés reconnus qui doivent quitter Samos. Chacun se débrouille comme il peut pour payer le billet de ferry, à sa charge bien sûr. Il y a aussi ceux qui essaient de fuir illégalement Samos avec des papiers trafiqués  pour ne pas risquer l’enfermement du nouveau camp.

Pour beaucoup pas de plan prévu à l’arrivée au Pirée – je ne compte plus les messages disant avec angoisse : « je ne sais pas où aller, je dois dormir dans la rue ou dans le parc ». Au pire ce sera le bitume athénien, au mieux ce sera un matelas dans la chambre d’autres réfugiés. Pour d’autres, ce sera une place dans le camp de Ritsona, à 1 heure d’Athènes.

Quasi toutes les demandes d’asile, examinées lors des interviews depuis novembre 2020, sont rejetées, décision communiquée aux requérants au compte-gouttes, sans justification autre qu’un rapide manque de preuves.

Que de colère lorsque l’ONG Avocats sans Frontières à qui j’adresse les refoulés répond :

« Nous ne pouvons rien faire pour vous » lorsqu’on sait que le service d’asile ne propose pas d’avocat disponible pour les recours, pourtant obligation légale. A peine une conversation téléphonique brève, quelques conseils pour les preuves, puis plus rien.

Dans les procédures, le niveau social, le niveau d’éducation, la connaissance de l’anglais, éventuellement du français, sont un atout majeur. Comment défendre sa situation et son dossier lorsqu’on est africain illettré, que l’on ne parle que lingala, bambera ou peul. Il n’y a pas d’interprètes. Que des traducteurs, souvent des réfugiés désignés sans tenir compte des conflits ethniques, qui n’ont pas la qualité requise pour ce métier. Les traductions sont approximatives. Et les fonctionnaires qui jugent n’ont aucune connaissance du contexte politique et social des pays d’origine.

Que de larmes à essuyer, que de corps à soulager, que d’angoisses à apaiser, que d’hommes et de femmes à consoler…

 

Doc Pierre, juillet 2021