Rien de nouveau. Le décor est figé, semblable aux séjours précédents.
Au pied de l’Acropole, difficile de se frayer un chemin tant la foule de touristes est compacte. A deux arrêts de métro, contraste complet dans le décor sinistre des places Victoria et Amerikis écrasées par la chaleur, une foule miséreuse tourne en rond, piétine dans un déplacement continuel qui évoque la mise en scène d’une tragédie sur une scène de théâtre. C’est la fournaise chaque après-midi : 35 degrés. Quête d’un peu d’ombre offerte par les arbres en attendant le coucher du soleil. Les femmes afghanes ou arabes conversent, rient parfois. Les hommes se murent dans le silence, se mesurant parfois au jeu d’échec ; des adolescents tapent sur une bouteille remplie d’eau, ou par chance parfois sur un ballon. Femmes africaines ou orientales avec petits enfants dans leur poussette ; les solitaires sont concentrés sur leur écran de téléphone ; quelques éclats de voix qui expriment le désespoir. Au bas de Victoria, des SDF grecs, des migrants fouillent dans les containers à la recherche de carton, cannettes alu à recycler, pièces de vêtements troués, voire un peu de nourriture…
Plusieurs jours par semaine, SOS Refugees, ONG partenaire de Choosehumanity, distribue généreusement des sacs de nourriture : pâtes, fromage, lait, eau, légumes frais, yaourts, lentilles, pain etc.
A quelques pas, grandes pancartes d’un groupe de Témoins de Jéhova qui distribue « la bonne parole ».
Situation générale plus difficile tant pour les réfugiés que pour les Grecs. Les mobilisations et marches se multiplient pour dénoncer la précarité, le démantèlement social, le dysfonctionnement hospitalier. Défilés hebdomadaires devant le parlement, sit-in sur la rue Aristotelous au syndicat du personnel soignant, grève générale des transports le 21 septembre, festival Spoutnik regroupant grecs, migrants et ONG.
Consultations médicales aussi bien avec les réfugiés qu’avec des SDF au hasard des tournées. Mesurer son impuissance devant la dégradation des conditions de vie des réfugiés, qu’ils soient rejetés ou qu’ils aient la protection internationale. Plusieurs ont décidé de rejoindre la France ou l’Allemagne par la route : Macédoine, Bosnie, Croatie etc. Difficile, même en été. Plusieurs appels d’urgence de ceux qui se sont fait agressés et dépouillés… Et dire que certains préparent leur départ et risquent de se retrouver dans le froid d’automne et la neige d’hiver.
Consulter sur des pas de porte, dans la rue, ou dans l’appartement de Choosehumanity. Se débrouiller pour trouver les médicaments prescrits par l’hôpital, voire les acheter grâce à vos dons. Y ajouter parfois de la nourriture au vu de la dénutrition de certains. Un peu moins de médecine et plus de social…
Pester contre l’ONG S…P…. dont le mutisme a compromis une partie de l’action médicale.
Se battre pour améliorer les prises en charge médicale et psychiatrique souvent difficiles et dont la qualité dépend de traducteurs plus ou moins compétents et aux horaires fantaisistes.
Dans cette grisaille ambiante, belle soirée et un peu de chaleur humaine avec un repas en commun, festif, réunissant une douzaine de protégés dans un petit restaurant afghan en compagnie de Mary Wenker, présidente de Choosehumanity et de Dimitris, responsable de SOS Refugees.
Dans cette misère humaine, ravi de voir un protégé qui s’en sort peu à peu. Il a trouvé un bon travail dans une entreprise française et a pu quitter un studio sordide pour un petit appartement à distance du ghetto où se concentrent les réfugiés.
C’est nettement plus difficile pour deux traducteurs qui restent prisonniers de leur passé en travaillant avec des ONG dédiées aux migrants. Il faudrait qu’ils puissent se concentrer sur l’apprentissage du grec, puis compléter ensuite leur formation interrompue par la fuite de leur pays. Mais comment le faire quand on s’épuise 10 heures par jour pour 600 euros par mois… Comment réapprendre à vivre libre et arracher l’étiquette « réfugié » qui conditionne son propre regard et celui des autres ?
Le futur reste sombre : nouvelles arrivées sur les îles de la mer Égée depuis la Turquie, terrible situation à Samos pour les migrants enfermés derrière les doubles barrières de barbelés du nouveau camp, suppression des aides au logement, à la nourriture, aux soins, verrouillage du camp de Ritsona où s’entassent les déboutés d’asile ; tous les messages reçus ne sont que tristesse et désespoir.
Merci à vous toutes et tous de votre aide, de vos encouragements, de vos dons. Imaginez le sourire des dizaines de migrants quand je leur dis que ni vous, ni Choosehumanity, ni moi ne les abandonnerons.
Doc Pierre
30 septembre 2022