Lorsqu’elle enlace l’énorme peluche reçu d’une association partenaire, ses yeux pétillent et témoignent d’une enfance traversée à pas de géants. Issue d’une culture où travailler à moins de 10 ans est monnaie courante, se retrouver comme elle mère à tout juste treize ans ne surprend pas vraiment, elle avait serré l’ours très fort contre elle en s’écriant « désormais, quand je serai triste, j’aurais quelqu’un auprès de qui me blottir ! ».
Lorsque je lui demande ce qu’elle envisage de faire, son front se plisse, ses yeux s’assombrissent, elle a le regard noir d’une femme d’âge mûr qui porte sur elle les stigmates d’un parcours complexe, des responsabilités à assumer, pour elle, mais aussi pour ce fils resté au pays, fruit d’un viol, à qui elle rêve de pouvoir offrir ce qu’elle n’a jamais reçu : sécurité et éducation.
Dix-huit ans à peine et déjà trois années d’errance et de solitude sur le chemin de l’exil. Le Soudan, la Libye, la Turquie… La traversée de la Méditerranée dans une embarcation de fortune, l’arrivée à Samos et le séjour dans sa jungle où bien que mineure non-accompagnée, elle devra se faire sa place parmi les adultes et parviendra à survivre tant bien que mal.
Sa protection internationale une fois obtenue, elle tente de mener sa vie dans la capitale, mais se rend très vite compte des dangers qui guettent une jeune et jolie presqu’encore adolescente à la peau d’ébène. Elle choisit de partir en Suisse, ce pays dit «à haute tradition humanitaire », qui balaie sa demande sitôt sa majorité atteinte. La faute aux accords de Dublin. La faute à une méconnaissance de ce qui attend les réfugiés statutaires en Grèce. A plus forte raisons si ces personnes sont noires. Et femmes.
C’est au matin du 15 mai dernier que la jeune fille est convoquée dans le bureau du foyer où elle réside. On lui demande de rendre la clé de sa chambre, on la menotte, on jette pêle-mêle dans un gros sac en plastique toutes ses affaires et on l’emmène sous contrainte à l’aéroport de Zürich. Direction la Grèce. Retour case départ, ou presque.
Aujourd’hui, Safiya tente de faire entrer dans une minuscule valise un maximum de vêtements. Avec ses huit kilos règlementaires, elle veut tenter sa chance ailleurs, une fois encore. Deux mois de galère à Athènes, c’est assez. Elle a pourtant fait de gros efforts pour conquérir son autonomie. Elle a trouvé un emploi, mais Impossible de signer le contrat de travail sans sécurité sociale (AMKA) et numéro fiscal (AFM), lesquels s’obtiennent, pour les réfugiés, sur présentation d’un contrat de travail ou contrat de bail (lequel ne peut être établi que sur présentation du AFM)… Bref … une approche « à la grecque », sans logique aucune, très éloignée de ce qui figure sur papiers…
Aujourd’hui, Safiya va prendre un nouvel avion.
Destination un autre pays européen.
Avec un espoir, tout petit certes.
Si petit que même sa valise bouclée, elle doute.
Mais se dit soulagée de savoir que la porte de notre appartement à Athènes lui reste grande ouverte.
Qu’ajouter ?
Mary / Athènes le 30 juin 2024