Le billet de Doc Pierre – juillet 2021

Le 6ème voyage sur l’île s’est achevé fin juin avec une nouvelle collaboration entre Medequaliteam et Choosehumanity. Semaines difficiles à cause du frein des autorités qui ralentissent l’accès au traitement des pathologies sévères et compliquées et par des situations de plus en plus précaires et incertaines, pour tous les réfugiés, que l’asile soit rejeté ou accepté.

Futur incertain avec le transfert en septembre dans un nouveau camp, en pleine nature, à 8 km de la ville : multiples containers de 6 places alignés les unes à côté des autres, sans aucune ombre à l’extérieur, sans arbre, le tout entouré de barbelés pour un total de 1200 places. Vraie prison.

Le service d’asile a expulsé de Samos près de 4000 migrants depuis janvier. Impossible d’en connaître les critères: il y a les rejetés, ceux qui attendent une décision, les réfugiés reconnus qui doivent quitter Samos. Chacun se débrouille comme il peut pour payer le billet de ferry, à sa charge bien sûr. Il y a aussi ceux qui essaient de fuir illégalement Samos avec des papiers trafiqués  pour ne pas risquer l’enfermement du nouveau camp.

Pour beaucoup pas de plan prévu à l’arrivée au Pirée – je ne compte plus les messages disant avec angoisse : « je ne sais pas où aller, je dois dormir dans la rue ou dans le parc ». Au pire ce sera le bitume athénien, au mieux ce sera un matelas dans la chambre d’autres réfugiés. Pour d’autres, ce sera une place dans le camp de Ritsona, à 1 heure d’Athènes.

Quasi toutes les demandes d’asile, examinées lors des interviews depuis novembre 2020, sont rejetées, décision communiquée aux requérants au compte-gouttes, sans justification autre qu’un rapide manque de preuves.

Que de colère lorsque l’ONG Avocats sans Frontières à qui j’adresse les refoulés répond :

« Nous ne pouvons rien faire pour vous » lorsqu’on sait que le service d’asile ne propose pas d’avocat disponible pour les recours, pourtant obligation légale. A peine une conversation téléphonique brève, quelques conseils pour les preuves, puis plus rien.

Dans les procédures, le niveau social, le niveau d’éducation, la connaissance de l’anglais, éventuellement du français, sont un atout majeur. Comment défendre sa situation et son dossier lorsqu’on est africain illettré, que l’on ne parle que lingala, bambera ou peul. Il n’y a pas d’interprètes. Que des traducteurs, souvent des réfugiés désignés sans tenir compte des conflits ethniques, qui n’ont pas la qualité requise pour ce métier. Les traductions sont approximatives. Et les fonctionnaires qui jugent n’ont aucune connaissance du contexte politique et social des pays d’origine.

Que de larmes à essuyer, que de corps à soulager, que d’angoisses à apaiser, que d’hommes et de femmes à consoler…

 

Doc Pierre, juillet 2021

 

Témoignage d’Olivia, notre bénévole

Deutscher Text weiter unten

 

La sécurité et le bonheur – Mon expérience à Athènes

Ayant travaillé dans le secteur de l’asile en Suisse pendant un an, j’ai souhaité me rendre à Athènes pour en savoir plus sur la situation des réfugiés en Grèce. J’ai donc participé pendant un mois au projet « Not Just Refugee », conduit par Leonie et partenariat avec Choosehumanity en tant que bénévole.

En colère contre l’échec de l’État grec…

Triste de voir les gens bloqués dans leur situation de vie difficile…

Déçue par la faible coopération des pays européens…

Heureuse d’avoir rencontré de nombreuses personnes au grand cœur et d’avoir vécu de beaux moments malgré la situation misérable.

Que de sentiments mitigés… Après mon retour d’Athènes, j’étais heureuse d’être à nouveau près de mes proches. On se rend toujours compte de l’importance de la famille et des amis quand on ne les a pas près de soi.

J’ai pu décider de rentrer en Suisse après quatre semaines. Avec facilité, j’ai pu réserver le billet d’avion et prendre l’avion. Malheureusement, dans le cercle de mes connaissances à Athènes, j’étais la seule à avoir ce privilège. Un contraste parmi d’autres, souvent douloureux…

« Je suis prisonnier d’un État où les réfugiés sont traités de manière inhumaine, où une décision en matière d’asile peut prendre des années, où les perspectives de trouver un emploi sont très faibles et où la protection sociale est un sujet de dérision. Alors pourquoi ne pas passer à autre chose ? Si c’était aussi simple. Dois-je payer un passeur pour 5 000 euros ? Je n’ai pas d’argent car j’ai déjà dû dépenser plusieurs milliers d’euros pour me rendre en Grèce. Dois-je acheter des documents falsifiés pour pouvoir prendre l’avion ? En raison notamment de la pandémie, les contrôles dans les aéroports sont devenus très stricts. Est-ce que je m’en vais par la route ? Je ne sais pas où se trouvent les contrôles aux frontières et si je me fais prendre, je risque plusieurs mois de prison. Je ne peux pas retourner dans mon pays d’origine. » (H., 25 ans, originaire de Guinée)

J’aurais aimé emporter dans mes bagages les personnes que j’ai rencontrées là-bas et leur promettre une vie meilleure en Suisse. Comment se fait-il que moi, parmi tous les autres, j’ai la chance d’avoir une bonne éducation, un bel appartement, de nombreuses possibilités d’emploi, une voiture et d’être près de mes proches ? Car quel que soit le pays d’où nous venons, nous avons en fait tous le même objectif : vivre une vie sécure et heureuse. Mais la sécurité et le bonheur n’ont pas la même signification pour tout le monde. Ici, j’ai peur de manquer de quelque chose parce que je ne travaillerai pas le mois prochain, des conséquences d’une vaccination ou d’un échec si je ne réussis pas un examen. Des soucis qui soudainement semblent futiles.

« Mon petit ami, qui a payé mon loyer jusqu’à présent, part en France et ne peut plus me soutenir financièrement. Il a payé 75 euros par mois pour que je loue ce petit appartement de 3,5 pièces que je partage avec huit autres réfugiés. J’ai 18 ans et je me débrouille seule depuis 12 mois. Si je veux travailler légalement, je dois donner mes empreintes digitales en Grèce. Cela réduit considérablement mes chances d’être acceptée comme demandeuse d’asile dans un autre pays européen. Et je ne veux pas passer ma vie en Grèce. Trouver un emploi illégal est très difficile parce que je suis noire et que je n’ai pas encore pu apprendre le grec correctement. Toutes les organisations d’aide que j’ai contactées jusqu’à présent n’ont pas donné de réponse ou disent que leurs capacités sont épuisées. Si je ne peux pas payer le loyer le mois prochain, je vais vivre dans la rue. » (P., 24 ans, originaire du Cameroun)

En Suisse, on nous apprend à prendre des initiatives, à prendre des décisions pour notre vie et à être autonomes. En d’autres termes, on nous apprend tout ce dont nous avons besoin pour contrôler nos vies. Pourtant, nous sommes parfois dépassés par les nombreux choix qui s’offrent à nous quant à la façon dont nous voulons la vivre : travail, famille, lieu de résidence… Le plus souvent, nous pouvons décider individuellement. Un privilège qui n’est pas universel…

« J’aimerais avoir une famille un jour, vivre avec un mari et des enfants dans un endroit, peu importe où, où nous ne sommes pas menacés en raison de nos origines et où nous pouvons avoir un revenu régulier. Ma mère m’a appris à être forte, à surmonter tous les obstacles de la vie et à chercher des solutions. Mais pour l’instant, je suis coincée en Grèce et je ne trouve pas de solution pour améliorer ma situation. Ma fille a presque un an. Comme je n’ai pas assez d’argent pour la nourriture, parfois elle ne boit que de l’eau. C’est pourquoi elle pleure souvent. Je suis moi-même engagée dans l’enseignement de l’anglais et du grec. Comme je n’ai pas de statut légal, je reste généralement dans ma chambre. Si la police me contrôle dehors, je pourrais être arrêtée. Ma situation actuelle me frustre et me prive de toute énergie et de toute positivité. J’ai la chance d’être soutenue financièrement par une organisation pendant trois mois. L’organisation m’oblige à chercher des solutions pour que je puisse vivre de manière indépendante. Mais comment ? » (S., 32 ans, originaire du Cameroun)

Nous avons tous le même cœur. Pourquoi ne pas avoir le même droit à la sécurité et au bonheur ? Une question toute simple… Qui pose la question de responsabilité solidaire, tant au plan des Etats qu’au plan individuel.

Afin de fournir aux demandeurs d’asile à Athènes un peu de sécurité, en leur apportant soutien psychologique, logement durant quelque mois et coupon de nourriture, l’organisation fribourgeoise Choosehumanity collabore étroitement avec le projet « Not just a Refugee ». L’aide apportée soulage les demandeurs d’asile pendant une certes courte période (en principe, 6 mois), leur permet ainsi d’investir l’énergie nécessaire dans la recherche d’une solution à leur situation difficile et de ne pas avoir à vivre dans la crainte de se retrouver à la rue.

J’en appelle ici à votre solidarité afin de permettre à ce projet de se poursuivre. Tout don, si petit soit-il, est déductible des impôts. Il suffit d’effectuer un versement sur le compte Raiffeisen de Choosehumanity (IBAN CH53 8080 8003 7079 7644 0), en mentionnant mon nom sous la rubrique « commentaires ».

Un grand merci déjà à toutes et tous !

Olivia Gauch

Düdingen, le 4 mai 2021

 * * * * *

Über Sicherheit und Glück – Meine Erfahrung in Athen

Seit einem Jahr im Asylwesen in der Schweiz tätig zog es mich nach Athen, um vor Ort mehr über die Flüchtlingssituation in Griechenland zu erfahren. So half ich während einem Monat bei „Not just a Refugee“ als Freiwillige mit, einem neuen Projekt geführt von Leonie in Zusammenarbeit mit Choosehumanity.

Wütend über das Versagen des griechischen Staates;

Traurig, Menschen in ihren schwierigen Lebenssituationen zu sehen;

Enttäuscht von der schlechten Zusammenarbeit der europäischen Länder;

Glücklich, viele herzensgute Menschen kennengelernt und trotz der miserablen Lage schöne Momente erlebt zu haben.

Viele gemischte Gefühle also. Nach meiner Rückkehr von Athen war ich froh, wieder in der Nähe von meinen Liebsten sein zu dürfen. Wie wichtig die Familie und Freunde sind, wird einem immer wieder bewusst, wenn man sie nicht bei sich hat. Mir war es möglich, nach vier Wochen zu entscheiden, in die Schweiz zurückzukehren. Ohne zu zögern habe ich das Flugticket gebucht und bin geflogen. Leider war ich im Kreis von meinen Bekanntschaften in Athen die Einzige, die dieses Privileg hatte. Und dies ist nur einer von vielen Kontrasten.

„Ich bin gefangen in einem Staat, in welchem Flüchtlinge menschenunwürdig behandelt werden, ein Asylentscheid Jahre dauern kann, die Perspektive auf eine Arbeitsstelle sehr schlecht und die Sozialhilfe zum Lachen ist. Wieso also nicht weiterziehen? Wenn das so einfach wäre. Bezahle ich einen Schmuggler für 5‘000 Euro? Mir fehlt das Geld, weil ich bereits mehrere Tausend Euro für den Weg bis Griechenland ausgeben musste. Kaufe ich gefälschte Dokumente, damit ich in ein Flugzeug steigen kann? Nicht zuletzt wegen der Pandemie wurden die Kontrollen an den Flughäfen strenger. Laufe ich einfach so los? Ich bin mir nicht sicher, wo die Grenzkontrollen stattfinden und wenn ich geschnappt werde, drohen mir mehrere Monate Gefängnis. Zurück in mein Heimatland kann ich nicht.“ (H., 25-jährig, Guinea)

Am liebsten hätte ich die Leute, die ich dort kennengelernt habe, einfach in meinem Gepäck mitgenommen und ihnen ein besseres Leben in der Schweiz versprochen. Wieso habe gerade ich die Chance auf eine gute Ausbildung, eine schöne Wohnung, viele Jobmöglichkeiten, ein Auto und die Nähe meiner Liebsten? Denn egal von welchem Land wir stammen, eigentlich haben wir doch alle das gleiche Ziel: ein sicheres und glückliches Leben zu verbringen. Nur bedeutet Sicherheit und Glück nicht das gleiche für jedermann. Ich habe hier Angst vor einer Lücke, weil ich nächsten Monat nicht arbeite, vor den Folgen einer Impfung oder vor dem Versagen, wenn ich eine Prüfung nicht bestehe. Sorgen, die plötzlich überflüssig erscheinen.

„Mein Freund, der mir bis jetzt die Miete bezahlt hat, reist weiter nach Frankreich und kann mich nicht länger finanziell unterstützen. Er hat für mich monatlich 75 Euro für die Miete dieser kleinen 3.5 Zimmer-Wohnung bezahlt, die ich mit acht anderen Flüchtlingen teile. Ich bin 18 Jahre alt und seit 12 Monaten alleine unterwegs. Wenn ich legal arbeiten möchte, muss ich meinen Fingerabdruck in Griechenland geben. Das verschlechtert die Chancen sehr stark, in einem anderen europäischen Land als Asylsuchender angenommen zu werden. Und ich will nicht mein Leben in Griechenland verbringen. Eine illegale Arbeitsstelle zu finden, ist sehr schwierig, da ich schwarz bin und noch nicht richtig griechisch lernen konnte. Alle Hilfsorganisationen, die ich bis jetzt kontaktiert hatte, haben entweder keine Antwort gegeben oder sagen, dass die Kapazitäten momentan ausgeschöpft sind. Wenn ich die Miete nächsten Monat nicht bezahlen kann, lebe ich auf der Strasse.“ (P., 24-jährig, Kamerun)

Uns wird gelehrt, Initiative zu ergreifen, Entscheidungen für unser Leben zu treffen und selbständig zu sein. Also alles, damit wir unser Leben im Griff haben. Trotzdem überfordern uns manchmal die vielen Möglichkeiten, wie wir es gestalten möchten. Job, Familie, Wohnort; wir können grösstenteils individuell darüber entscheiden.

„Ich möchte gerne mal eine Familie haben, mit einem Mann und Kindern an einem Ort leben, egal wo, wo wir nicht wegen unserer Herkunft bedroht werden und ein regelmässiges Einkommen haben können. Meine Mutter hat mich gelehrt, stark zu sein, jede Hürde im Leben zu überwinden und nach Lösungen zu suchen. Momentan sitze ich aber in Griechenland fest und finde keine Lösung, meine Situation zu verbessern. Meine Tochter ist fast ein Jahr alt. Da ich nicht genug Geld für das Essen habe, trinkt sie manchmal einfach Wasser. Deshalb schreit sie oft. Ich selber beschäftige mich mit Englisch- und Griechischunterricht. Da ich keinen legalen Status habe, bleibe ich meistens in meinem Zimmer. Wenn mich die Polizei draussen kontrolliert, kann es sein, dass ich verhaftet werde. Meine momentane Situation frustriert mich und raubt mir jegliche Energie und positive Einstellung. Ich habe das Glück, während drei Monaten von einer Organisation finanziell unterstützt zu werden. Die Organisation verlangt von mir, nach Lösungen zu suchen, damit ich selbständig leben kann. Aber wie?“ (S., 32-jährig, Kamerun)

Wir haben alle das gleiche Herz. Wieso bloss nicht das gleiche Recht auf Sicherheit und Glück? Um einigen Asylsuchenden in Athen wenigstens ein kleines bisschen Sicherheit zu geben, unterstützt die Freiburger Organisation Choosehumanity mit dem Projekt „Not just a Refugee“ (Nicht nur ein Flüchtling) die Flüchtlinge finanziell und in einem Coaching. Die Organisation übernimmt die Miete während ungefähr sechs Monaten und händigt monatlich einen Essensgutschein im Wert von 20 Euro aus. Die Hilfe entlastet die Asylsuchenden wenigstens während dieser Zeit und erlaubt ihnen, die Energie in die Lösungsfindung ihrer schwierigen Situation zu investieren und nicht in der Angst leben zu müssen, auf der Strasse zu landen.

Ich appelliere an Ihre Solidarität, damit dieses Projekt weitergeführt werden kann. Jede Spende, wie klein auch immer, ist steuerlich absetzbar und kann auf das Raiffeisenkonto von Choosehumanity (IBAN CH53 8080 8003 7079 7644 0) mit meinem Namen als „Mitteilung“ überwiesen werden.

Ich danke euch von Herzen!

Olivia Gauch

Düdingen, 4. Mai 2021

 

Quelles perspectives pour les bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce ?

On le sait… Obtenir une protection internationale (statut de réfugié.e, permis humanitaire ou protection subsidiaire) en Grèce relève du parcours du combattant, tant les critères et la procédure sont complexes.

On le sait… Obtenir cette protection internationale n’équivaut pas à l’ouverture des portes vers une vie meilleure, même si les personnes concernées sont soulagées lorsqu’elles apprennent que leur demande a été acceptée. Elles ne disposent désormais que d’un délai d’un mois pour trouver le moyen de survivre dans leur pays d’accueil. Ce délai passé, elles sont en effet dans l’obligation de quitter le camp ou le lieu d’hébergement fourni par les autorités grecques, et ne toucheront plus aucune indemnité de soutien (soit 75 euros par mois pour un adulte célibataire). C’est ainsi que bon nombre d’hommes, de femmes et d’enfants se retrouvent à la rue, à Athènes souvent…

« La Grèce dispose d’un programme d’intégration destiné à ces personnes », me rétorquera-t-on… Oui, mais… Entre théorie et pratique, la distance peut être grande. En Grèce et dans ce domaine surtout.

 

HELIOS (Hellenic Integration Support for Beneficiaries of International Protection)

Le programme HELIOS de l’Organisation Internationale pour les Migrations (IOM) est un projet financé par l’Union Européenne, conduit en partenariat avec de nombreuses organisations dites expérimentées[1]. Il s’échelonne sur six mois et poursuit un double objectif :

  • Augmenter les perspectives d’autonomie des bénéficiaires et les aider à devenir des membres actifs de la société grecque,
  • Mettre en place un mécanisme d’intégration pour les bénéficiaires de la protection internationale, aboutissant à un mécanisme de rotation pour le système actuel d’hébergement temporaire grec.

Selon le descriptif du programme qui figure sur leur site[2], différentes mesures sont mises en place pour permettre l’atteinte de ces objectifs :

  • Cours d’intégration, afin de familiariser les bénéficiaires à la langue et la culture grecque, la préparation à l’emploi et les compétences de vie.
  • Aide au logement, en contribuant aux frais de location et d’emménagement, sur la base d’un contrat de bail établi à leurs noms.
  • Soutien à l’employabilité, sous la forme d’une aide individuelle (conseils en matière d’emploi, accès à des certifications, mise en réseau avec des employeurs privés).
  • Suivi de l’intégration, par une évaluation régulière de la progression de l’intégration des bénéficiaires, afin d’assurer une autonomie optimale au terme du programme HELIOS.
  • Sensibilisation de la communauté d’accueil, par l’organisation d’ateliers et d’activités afin de créer des occasions d’échanges entre la société d’accueil et les communautés accueillies, en soulignant la valeur de l’intégration des migrants dans la société grecque.

Un programme qui, sur papier, suscite de nombreux espoirs. Mais qui, dans la réalité, ne porte que peu de fruits pour celles et ceux qui parviennent à déployer l’énergie nécessaire pour y accéder.

 

Le cas de H., au bénéfice d’un permis humanitaire

H.[3] est un jeune homme de 24 ans, au bénéfice d’une éducation qui lui permet de s’orienter dans les méandres de la vie un peu plus facilement que d’autres. Il parle français, un peu anglais, il maîtrise les outils informatiques et gère les questions administratives avec aisance. Son statut une fois accordé, il entame la procédure requise pour accéder au programme HELIOS.

Etape cruciale : ouvrir un compte en banque… Cela paraît si simple chez nous. Accompagné d’un bénévole de Choosehumanity, il se rend dans une banque de Samos muni des 50 euros requis dans une telle démarche. « Impossible d’ouvrir un compte aujourd’hui », indique l’employé au guichet, qui propose de revenir un mois plus tard, sous prétexte que la banque ne dispose pas des ressources humaines nécessaire. H. insiste, et obtient un nouveau rendez-vous, fixé quatre semaines plus tard, date postérieure  au délai imposé par le service d’asile pour quitter l’île…

HELIOS lui demande ensuite de fournir un contrat de bail établi à son nom à Athènes, faute de quoi il ne pourra ni quitter l’île, ni être inscrit dans le programme… Comment imaginer obtenir un tel document sans être présent sur place pour visiter les lieux et se présenter au propriétaire ? Avant de signer un bail, il faut aussi obtenir un numéro fiscal (tax number), qui ne sera délivré à H. qu’un mois plus tard, le rendez-vous obtenu au bureau des impôts étant lui aussi très tardif… L’administration en Grèce est surchargée !

Le réseau des bénévoles en Grèce permet souvent de jolis miracles. Leonie, fondatrice de l’association « Not Just Refugees » partenaire de Choosehumanity, a de bons contacts avec une gérance immobilière à Athènes. Laquelle accepte de rédiger le contrat nécessaire. H. doit faire un dépôt de 300 euros et payer le premier mois de loyer… « Qui vous sera remboursé, nous prendrons en charge les loyers suivants », affirme le représentant HELIOS en charge de son dossier. Quelques 600 euros sont donc nécessaires, sans compter le montant de son transfert, à sa charge. H. parvient à réunir les fonds,  car il a pu tisser de solides liens d’amitié avec des bénévoles d’ONG. Ce n’est pas le cas de la majorité des personnes dans une telle situation.

Il se rend donc à Athènes. Et s’installe… Attend de pouvoir accéder aux différentes mesures promises… Dix jours plus tard, un dimanche à 17h00, il reçoit un appel de Samos. Injonction lui est faite de se présenter à la direction du camp deux jours plus tard pour la prise d’empreintes qui lui permettra d’établir ses documents de voyage (carte d’identité et passeport). Effectuer ce voyage, c’est encore disposer de quelques 150 euros pour financer le transport… Sans compter les frais de logement sur place (le bureau d’asile mentionne 3-4 jours d’attente) et disposer des 84euros réclamés par l’administration pour le document, sans compter 18 euros pour les photographies. Obligation également d’aller chercher sur place et en personne le bordereau permettant de faire le versement bancaire (impossible d’obtenir le document établi à Samos par courrier électronique ou message téléphonique). Le jeune homme sollicite HELIOS pour l’aider, de manière à éviter de voyager pour un document administratif ; sa demande est refusée sous prétexte qu’HELIOS n’est pas concerné… !!!

Soutenu par son réseau, H. effectue ce qui lui est demandé. Arrivé à Samos, il se rend au camp pour obtenir le document qui lui permettra de payer les frais d’établissement de ses documents. Muni du récépissé de paiement, il retourne au bureau d’asile qui lui annonce que les prises d’empreintes du jour sont annulées, et qu’elles seront désormais groupées. « Revenez dans deux semaines », lui dit-on.

Au retour, en route vers son logement depuis l’aéroport d’Athènes, il reçoit un appel d’une représentante d’HELIOS qui veut visiter immédiatement son appartement. « Nous avons pris du retard dans le suivi de nos dossiers, vous devrez payer le loyer du mois prochain  et attendre pour les autres remboursements», lui dit-elle. Aucune information sur les différentes mesures dont il est supposé pouvoir disposer…

H. est un privilégié… Il dispose d’un réseau essentiel pour le soutenir. Rencontrer la bonne personne au bon moment fait souvent toute la différence dans ce contexte toujours plus restrictif de la politique d’asile grecque.

A. attend toujours…

A. est un jeune Hazara qui a obtenu son statut de réfugié le 10 juillet 2020. Il contacte immédiatement HELIOS pour s’inscrire au programme. A 23 ans, il considère avoir perdu assez de temps sur le chemin de l’exil et fait preuve d’une grande motivation pour avancer dans sa vie.

Mêmes méandres que H. pour répondre aux exigences d’HELIOS. Un premier contrat de bail est établi en juillet 2020. Quelques mois s’écoulent, HELIOS lui demande un second contrat. « Nous avons pris du retard, les critères ont changé ». Alors que je rédige ce texte, soit près de 10 mois plus tard, Hasan n’a bénéficié d’aucun soutien. Son loyer est financé par une association, les courses alimentaires prises en charge par une bénévole… Les cours de grec et d’intégration n’ont pas démarré… aucune perspective au niveau professionnel non plus.

 

Tant d’autres encore…

J. n’a pas été accepté dans le programme… Homosexuel persécuté et en danger dans le camp, il a contacté une association LGBTI+ qui l’a hébergé. Sous prétexte qu’il avait été soutenu par une association indépendante, l’accès à HELIOS lui a été refusé…

P., un jeune homme victime de torture à la santé précaire, a été contraint de quitter l’hôtel qui hébergeait de nombreux réfugiés à Athènes. Un hébergement qui dépendait des autorités grecques. Ébranlé par cette injonction, il se retrouve à la rue. Mal informé comme tant d’autres, il tarde à réaliser qu’il répond aux critères HELIOS. Lorsqu’il prend contact, on lui dit que c’est trop tard. « Et pourtant, des camarades dans la même situation ont été acceptés », indique-t-il à la représentante HELIOS du lieu. « Vous ne répondez pas aux critères ». Point barre, on lui raccroche le téléphone au nez… P., réfugié statutaire qui avait rêvé de pouvoir se reconstruire au pays des droits de l’homme erre comme une âme en peine dans les rues d’Athènes.

Les situations de ce type foisonnent…

Les statistiques de succès sont exponentielles sur les documents officiels. Difficile d’y croire lorsque l’on est confronté au quotidien à l’inefficacité d’une structure importante financée par l’Union Européenne. Une illustration supplémentaire qui atteste de l’hypocrisie crasse d’un système mis en place pour préserver l’Europe de l’arrivée « massive » de réfugiés en quête d’une vie respectueuse de leurs droits fondamentaux. Et de l’incapacité, pour les professionnel.le.s engagé.e.s par HELIOS, de mesurer l’impact gravissime de leur manque de professionnalisme sur la vie de tant de gens.

Fermer les yeux et continuer d’attribuer des fonds pour que rien ne change… Tel semble être l’objectif de l’Union Européenne. Les 250 millions d’euros récemment consentis afin de construire des camps fermés sur les îles de la mer Egée en témoignent…

 

Mary Wenker

Présidente Choosehumanity

Mai 2021

[1] Catholic Relief Services (CRS), Danish Refugee Council Greece (DRC Greece), Greek Council for Refugees (GCR), Solidarity Now

[2] https://www.gcr.gr/en/helios

[3] H. a témoigné dans un reportage de Temps Présent de la RTS Radio Télévision Suisse sur le camp de Samos (avril 2021) https://www.youtube.com/watch?v=XANO4kgQ61w

Soignez-moi ! Samos en mars 2021

Samos. Une seule ONG, MedequaliTeam, pour dispenser des soins de base et pallier à l’insuffisance (j’allais dire incompétence) de prise en charge du médecin du camp qui, en véritable censeur,  décidera d’écouter les plaintes de quelques patients parmi les dizaines qui piétinent en longue file pendant de nombreuses heures devant son bureau. Son choix est plus dicté par son exaspération, sa lassitude que par les critères rigoureux de la médecine. Ces « privilégiés », jamais examinés cliniquement, seront renvoyés en moins d’une minute ou recevront soit une prescription de médicaments qu’ils viendront chercher à l’ONG soit un rendez-vous à l’hôpital pour une radiographie, une prise de sang, ou une consultation, souvent repoussée, obligeant le migrant à parcourir à nouveau à pied 4 kilomètres de route.

H.B. réfugié a écrit son épopée et relate la vie du migrant. Un extrait de son texte illustre bien la situation sur le plan sanitaire :

 

« J’étais présent lorsqu’un frère camerounais a perdu la vie alors qu’il demandait juste de l’aide au médecin grec. Il a été abandonné à son propre sort jusqu’à sa mort. J’étais présent lorsqu’un Gambien a été sommé de quitter l’hôpital et le lendemain il a été retrouvé mort dans sa tente. J’étais présent lorsqu’un congolais n’a pas été pris en charge à l’hôpital et a perdu la vie à cause de la négligence du médecin qui a refusé de l’examiner. Racisme ? J’étais présent lorsque deux arabes ont tenté de se suicider  suite au refus de l’asile ce qui les a conduits à leur arrestation par la police.

J’étais présent lorsqu’un africain a fait une crise cardiaque puis a été transféré à l’hôpital ou on l’a déclaré en bonne santé. Il est maintenant hémiplégique… »

Les médecins de MedequaliTeam reçoivent plusieurs dizaines de patients  quotidiennement, parfois avec difficulté et inquiétude dues à leur inexpérience car les pathologies rencontrées nécessitent une prise en charge dictée par les particularités de la situation.

Il y a bien sûr les syndromes douloureux comme les céphalées, les douleurs dorsales et articulaires, les troubles digestifs liés aux conditions de vie et d’alimentation – déshydratation et malnutrition favorisée par un état dentaire souvent catastrophique, les troubles respiratoires, les troubles du sommeil. Toutes les plaintes somatiques sont amplifiées par le psychisme : anxiété, dépression, troubles de l’humeur, auto agression, insécurité et violences, pour lesquels nous ne pouvons que répéter de bonnes paroles et des encouragements  puisque l’utilisation de psychotropes est formellement interdite.

La situation s’est aggravée avec le confinement et l’hiver ; froid vif et pénétrant, rafales récurrentes de vent qui emportent les tentes, pluies torrentielles qui inondent le terrain et détrempent vêtements, sacs de couchage. La nourriture doit être gardée dans des caisses métalliques pour éviter le pillage par les rats qui creusent des galeries souterraines lorsque le bas des tentes est protégé par des cartons et planches de bois… Morsures de rats, refroidissements, toux garantis …

Et puis il y a les pathologies qui nécessitent une action plus rapide pour éviter les complications.

Chance pour moi d’utiliser mon expérience et mes cheveux blancs pour imposer plus facilement des traitements ou imaginer des solutions de fortune.

Je pense à I… 26 ans, avec troubles respiratoires dus à un volumineux kyste thyroïdien comprimant la trachée, attendant un traitement depuis 6 mois, et qui a enfin pu être ponctionné

A  Madame Y…, 59 ans, handicapée à cause de la déformation et de la flexion irréductible de ses genoux

A N… soufrant depuis plusieurs mois d’une tendinite d’Achille. La confection de talonnettes par de la mousse de bricolage lui a permis de remarcher dans la minute

A M… qui a un raccourcissement de la jambe gauche de 10 cm suite à une croissance localement altérée pour lequel une chaussure avec compensation a été bricolée avec les moyens de fortune.

Chaque rencontre fut une expérience humaine magnifique car le soin médical ne se résume pas à distribuer quelques pilules, comme je l’ai vu souvent. La prise en charge respectueuse doit comporter explications, conseils de prévention pour le présent et le futur, information sur les médicaments prescrits et sur leur efficacité attendue. Elle doit être aussi rigoureuse que partout ailleurs. Et ne pas oublier qu’Il faut traiter différemment une patiente africaine de 40 ans avec  lombalgie et un syrien lombalgique de 20 ans faisant ses prières quotidiennement.

Et il y a le coronavirus. Contamination dans la ville surtout, dans une moindre mesure dans le camp. Augmentation sans surprise. Les protections recommandées ne sont pas appliquées. Les Grecs se baladent en groupe, masque sous le nez ou absent. Chasse de la police pour verbaliser les quelques migrants,  traités en pestiférés, qui abandonneraient les précautions comme les autochtones…

H.B. :   « Quelques immigrés sont enfermés pendant 14 jours dans des conteneurs pour avoir été testé positifs puis  relâchés sans nouveau test de contrôle d’éradication. Nous voyons Thierry, enfant congolais de 8 ans, bien connu de la plus part des réfugiés pour son grand  sens de l’humour, déambuler à l’extérieur des grilles, il connaissait toutes les ouvertures cachées, et jouer avec ses amis alors que son test était positif.  Surprise et incompréhension : c’est sa mère,  négative, qui sera mise en quarantaine à sa place. Quant à lui, il rejoignait sa mère dans les conteneurs  d’isolement pour la sieste ou le coucher. »

J’ai eu le plaisir de rencontrer la journaliste Isabelle Ducret tournant un reportage pour Temps Présent et de la mettre en contact avec quelques réfugiés.  Ce reportage sera diffusé fin avril début mai et donnera la parole aux « prisonniers » de Samos. Choc de la réalité garanti.

Pierre-Alain Schmied

Médecin bénévole

Membre du comité de Choosehumanity

Eldorado à quatre chiffres

Mille six cent vingt-trois.  C’est le nom que je porte désormais. C’est le numéro qui figure sur le petit papier fatigué qui m’a été remis lorsque mon tour est venu.

J’ai tendu la main comme je l’ai fait à de trop nombreuses reprises, de façon plus mécanique encore depuis l’apparition de ce fichu virus, occasion rêvée pour les autorités de restreindre ma liberté de mouvement, et celle de tous les autres dans le camp surpeuplé où j’ai stagné depuis mon arrivée en Grèce.

J’ai tendu la main et j’ai laissé glisser entre mes doigts les quelques espoirs qui avaient réussi à survivre jusque-là. Et avec eux, juste avant de franchir la porte de ce camp flambant neuf financé par l’Union Européenne, mon âme et mon cœur qui n’auraient pas, je le savais, survécu au destin qui serait le mien désormais. Celui d’une femme à qui l’on avait petit à petit volé son humanité, contenue dans un corps qu’elle ne reconnaissait plus.

Dans une autre vie, je m’appelais Bushra. J’étais une femme libre, originaire d’un pays qui ne tolère pas que les femmes pensent par elles-mêmes, se battent pour des idées, revendiquent leur autonomie. « Chez moi », il n’est accordé aux femmes que le seul droit d’enfanter, d’assurer le maintien du foyer. Et de servir le thé aux nombreux invités de passage bien sûr, mais toujours le visage partiellement dissimulé sous un voile sombre que j’avais très jeune déjà rejeté.

Je me suis enfuie avec des rêves plein la tête, riche et fière de tous mes combats, de quelques réussites aussi. Je garde de moi le souvenir d’une jeune adulte qui, à plusieurs reprises, avait été choisie par notre groupe de militantes pour exprimer haut et fort nos revendications sur une chaîne YouTube que nous alimentions dans la clandestinité. Me dévoiler, dans tous les sens du terme, avait rapidement fait de moi une cible à éliminer.

J’ai donc fui en direction de « l’Eldorado », continent des droits humains, convaincue de pouvoir là-bas continuer à livrer un combat essentiel à mes yeux pour briser les chaînes de toutes celles qui, au pays et ailleurs encore, continuaient de souffrir en silence.

Je porte désormais le numéro mille six cent vingt-trois.

Je suis le numéro mille six cent vingt-trois.

Et je choisis, en ce dernier jour de la troisième décennie d’un siècle qui aurait pu être celui de tant de renouveaux, de n’être plus qu’un corps dans une file d’attente, d’abandonner derrière le grillage ma capacité à penser, ma capacité à ressentir, ma capacité à aimer, ma capacité à souffrir.

  • « Mille six cent vingt-trois !»

L’homme me tend une couverture, inscrit quelque chose dans le carnet qu’il tient dans ses mains, pointe du doigt un container partiellement occupé déjà. « Toi, tu vas là !»

Dois-je prétendre avoir eu de la chance ? Le voyage à travers les montagnes en direction de la frontière turque s’était déroulé dans ce que l’on pourrait considérer comme de bonnes conditions. Certes, nous avions marché des heures durant, mes pieds saignaient, il faisait froid. La nourriture et l’eau que nous portions sur notre dos étaient rapidement venues à manquer, il avait fallu abandonner en route une partie de nos effets personnels pour voyager plus léger, avancer plus vite. J’avais pris soin de mettre bien à l’abri dans un sachet de plastique mon téléphone portable, et la photo de Farida prise peu avant mon départ. Elle était avec moi Farida, et chuchotait à mon oreille les mots d’encouragement pour me permettre de continuer à mettre un pied devant l’autre. Le voyage fut rude, nous n’avions été contraints d’abandonner quelqu’un sur la route : ni un vieillard épuisé, ni même une femme enceinte sur le point d’accoucher. Nous étions partis à vingt-six et nous étions arrivés tout autant de l’autre côté de la frontière. Une forme de victoire – ou de chance – que j’avais aussitôt communiquée à mon amie chérie. « Jusque-là tout va bien ! Je t’aime !»

Enfant déjà, j’étais fascinée par l’art et les cultures de ces peuples qui nous étaient souvent décrits comme « des ennemis à combattre pour permettre à l’islam de se répandre sur la terre entière, et de la sauver ! ». Lorsque notre enseignant brandissait des images de femmes vêtues à l’occidentale, ou de figures religieuses supposées orner les églises de « l’ennemi », mes camarades, eux, brandissaient leur poing, les yeux pleins de colère. « Ne montre pas tes jambes ! Impures ! L’islam ne tolère aucune image sainte, impure ! ».  Moi, ces images me donnaient des ailes ! Je devenais l’oiseau majestueux, infatigable, parcourant des milliers de kilomètres à la quête de trésors et de beauté. Sans doute cette fascination a-t-elle joué un rôle déterminant dans l’amitié qui, quelques années plus tard, allait naître de ma rencontre fortuite avec Farida. T’en rappelles-tu, mon amour ?

Farida n’avait pas, comme moi, été cantonnée à la maison la puberté une fois atteinte, en attendant qu’un époux lui soit attribué. Elle avait achevé sa scolarité, soutenue par une mère enseignante. Farida qui chante, Farida qui danse, Farida qui rit, qui pleure, qui donne, généreuse… Farida qui aurait pu se contenter d’évoluer dans le milieu qui était le sien, bien plus ouvert que celui d’une majorité d’entre nous, mais qui avait choisi de s’engager dans le combat pour la liberté de toutes les autres.

Chez Farida, il y avait une bibliothèque, dans un coin un peu sombre de la maison. Nous passâmes ensemble des heures à tourner et retourner les pages, à décrypter des textes dans une langue qui n’était pas la nôtre. Un ouvrage en particulier retenait à chaque visite toute mon attention. Un livre relié à l’ancienne, qui nous ouvrit toutes grandes les portes de Constantinople, sise entre deux cultures, et qui devint en quelque sorte le symbole de celle que je souhaitais devenir : une composition originale et unique, élaborée à partir des multiples expériences que je pourrais vivre où que je sois. Je devenais alors à tour de rôle icône, fresque, sculpture contemporaine, tellement plus encore.

Lorsque nous atteignîmes Istanbul quelques jours plus tard, il ne fut bien sûr pas question de partir à la découverte de la ville. L’idée même de le faire ne nous avait pas effleuré l’esprit. Notre passeur nous déposa devant un vieil immeuble décrépit dans un quartier de la périphérie. Un autre homme, tout aussi rude, prit le relais et nous intima l’ordre d’éteindre nos téléphones portables avant de nous installer dans la pièce qui nous était réservée. Je me suis alors envolée dans le souvenir des images qui virevoltaient dans mes pensées comme autant de papillons d’une légèreté inégalable, admirant les icônes de Sainte-Sophie, les fresques anciennes de l’église de Khora, me nourrissant de couleurs et d’harmonies, des observations que je collectionnais assise sur une terrasse au bord du Bosphore, de voix, de musiques aussi, comme autant de souffles qui firent de ce mois d’attente – le confinement avant le confinement ! – un espace serein.

Lorsque l’on nous indiqua que nous allions être déplacés, j’interrompis avec regret mon voyage intérieur. J’avais perdu toute notion du temps, et fus surprise d’apprendre que quelques jours seulement nous séparaient de la nouvelle année. L’idée de ce passage vers un avenir que je concevais comme plus lumineux me permit de réunir les forces nécessaires à affronter ce que je savais être périlleux. Traverser les quelques kilomètres qui séparent la Turquie de la Grèce n’est pas une mince affaire, à moins d’avoir entre les mains un passeport reconnu et un billet de ferry !

Notre passeur suivant choisit de nous faire embarquer le 31 décembre 2019. « Les garde-côtes auront autre chose à faire que de surveiller la mer », affirma-t-il. « Ils vont faire la fête, et vous aurez pleine vue sur les feux d’artifices de tous les côtés ! ».

La traversée s’amorça dans une relative tranquillité. Les quelque quarante passagers scrutaient la nuit noire pour y trouver un petit quelque chose à quoi se raccrocher, ne serait-ce qu’une étoile plus scintillante que les autres dans le ciel. Certains priaient, d’autres berçaient leur enfant. Les larmes coulaient en silence comme pour adoucir la brume salée qui recouvrait les visages.

Peu après le départ, des feux d’artifice colorèrent les côtes à droite et à gauche. Mais personne n’y prit garde. Tous étions occupés à survivre.

Lorsque les garde-côtes turcs nous repérèrent, poursuivirent notre embarcation en nous intimant l’ordre de faire marche arrière, nous menaçant même de leurs armes, nous fîmes la sourde oreille, affrontâmes les vagues en suivant les directives de notre passeur, « ne vous arrêtez pas ». Tous étions occupés à survivre.

Bientôt nous atteignîmes les eaux grecques. Les larmes se firent plus vives, les pleurs bruyantes, les prières reconnaissantes. Lorsque l’on nous prit en charge près du port de la petite île de Chios, chacun eut alors l’impression trompeuse d’avoir enfin atteint son paradis.

Quelques heures plus tard, on nous déplaça dans le camp, planté au milieu d’oliveraies qui s’éveillaient dans la douceur du jour naissant. C’est là que j’ai appris à tendre la main…Pour inscrire sur un document froissé mes empreintes digitales, saisir le drap mince que l’on me tendit en guise de couverture, obtenir une barquette de nourriture parfois avariée, saisir le petit papier sur lequel on avait inscrit la date et l’heure de mon entretien d’asile, vingt-huit mois plus tard. Un entretien qui, le temps de quelques 30 minutes, allait signer ma condamnation. Refusée.

L’apparition du COVID en avril 2020 marqua un nouveau tour de vis. Confinement. Des militaires armés s’assuraient que personne ne franchisse les limites du camp. Ceux d’entre nous qui s’aventuraient à l’extérieur, ne serait-ce que pour grappiller quelques figues, se voyaient infliger une amende équivalente à près du double des indemnités mensuelles consenties, mais surtout risquaient de voir leur demande d’asile être refusée sous prétexte de manque de collaboration. Confinement prolongé à des multiples reprises, alors même qu’aucun cas n’avait été identifié sur l’île. De mois en mois d’abord. D’année en année ensuite. Nous nous étions engouffrés dans un entonnoir qui nous avala bâillonnés, sans que personne ne s’en inquiète. Dans tous les camps de réfugiés des îles de la mer Egée, les droits humains étaient désormais bafoués sans que personne ne le dénonce. Nous fûmes sacrifiés sur le bûcher de l’Union Européenne qui se réjouissait désormais de ne plus avoir à nous accueillir ou à nous refouler à ses frontières.

Lorsque les camions de l’armée grecque apparurent à l’horizon ce matin du 31 décembre 2020, lorsque l’on nous demanda de rassembler nos affaires, lorsque l’on nous ordonna de nous mettre en rang avant de prendre place dans les véhicules, personne ne songea même à poser la moindre question. Nous nous étions terrés dans le silence depuis trop longtemps.

J’ai regardé défiler sous mes yeux les paysages poussiéreux sans qu’aucune image ne réanime ma mémoire. Farida même se tut.

Passé la porte de ce camp fermé où je devrais attendre mon renvoi,

j’ai simplement

arrêté

de respirer…

Les quatre chiffres de mon nom s’envolèrent portés par mon ultime souffle vers un autre Eldorado.

 

Mary Wenker

 

Echos de la mer Egée – voix de réfugiés

« Echos de la mer Égée – voix de réfugiés » est le fruit de nombreuses rencontres, d’une intimité partagée d’humain à humain. Écrire et partager ces histoires résulte d’un constat alarmant : ces hommes, ces femmes et ces enfants ont perdu sur le chemin de l’exil toute leur dignité. La parole ne leur est plus que rarement accordée. Ils ne sont désormais appréhendés que comme « réfugiés », dans une approche stéréotypée qu’il convenait de rectifier.

Il importait à l’auteure d’impliquer les principaux intéressés dans le processus de construction de ce recueil. Les textes ont ainsi été transmis à celles et ceux qui les ont inspirés, traduits le plus souvent dans leurs langues d’origine. Leurs relectures ont souvent suscité larmes et émotions, mais comme l’a souligné Elker après avoir pris connaissance du texte qui la concernait, elles ont permis également de mesurer le chemin parcouru. Tous ont été profondément touchés de savoir que leurs voix étaient portées au-delà des grillages des camps et c’est avec gratitude qu’ils ont accepté que les textes soient publiés.

Afin de préserver leur intimité, possibilité leur a été offerte de ne pas faire apparaître leur prénom réel. Certains ont ainsi choisi un autre prénom… Celui de l’enfant à naître qui n’a pas survécu pour Elker, le prénom d’un frère, d’un ami, d’une figure de force pour d’autres.

Les textes comportent de nombreuses paroles rapportées le plus fidèlement possible. Elles apparaissent en italique. Ce sont leurs voix. Puisse le lecteur en percevoir les nuances et ressentir les émotions qu’elles traduisent. Indépendantes les unes des autres, les histoires se découvrent selon l’ordre choisi par le lecteur.

S’il porte la signature de Mary Wenker, « Echos de la mer Égée » n’en reste pas moins un travail collectif, un voyage à multiples mains, une chorale multiculturelle pour ouvrir les consciences.

 

Ce qu’ils en pensent…

La lecture de ce recueil m’a immédiatement séduit. Chacun de ces textes témoigne d’une profonde humanité, de liens à l’Autre que Mary sait tisser avec respect. Le respect et la reconnaissance, se sentir humain enfin à nouveau, tels sont les besoins – banals peut-être – que chaque réfugié éprouve au plus profond de lui-même.

Jean Ziegler, auteur de l’ouvrage « Lesbos, la honte de l’Europe » (Seuil, 2020)

Mary Wenker a le talent immense de mettre sa colère au service des démunis en leur donnant la parole. Magnifique et percutante écriture pour partager des moments de vies parties en miettes devant nos yeux grands ouverts, mais tellement aveugles…

Émotions garanties avec ces traces de vie récoltées par Mary qui, je l’espère, germeront et enrichiront notre terre de beauté partagée. Pour aussi savoir que nous sommes toutes et tous, citoyens du monde, concernés par les décisions politiques de nos dirigeants et que nous devons tous ensemble les influencer pour un monde juste… Dans l’immédiat, nous avons un devoir de solidarité et pouvons dès aujourd’hui faire en sorte que la parole de tous ces oubliés soit entendue et écoutée.

C’est aussi plein d’émotion que j’ai retrouvé dans ce livre magnifique, les destins brisés de quelques hommes, femmes, enfants, rencontrés grâce à Mary.

Pierre-Alain Schmied, médecin bénévole

 

Ce sont des témoignages forts que Mary Wenker nous fait écouter dans Échos de la Mer Égée. Comme celui d’Omar dont une bombe a fracassé les rêves et qui dépérit handicapé dans l’indifférence médicale d’une Grèce abandonnée par l’Europe. Ou M’Bé, jeune Africaine qui a dû fuir après un simple baiser donné à son amie car dans son pays, on risque la mort pour être « comme ça ». Dans les camps de réfugiés des îles grecques, le travail des bénévoles comme Mary est présenté avec pudeur, mais on en devine la généreuse nécessité.

Yves Magat, journaliste

 

Ce recueil fait de Mary Wenker l’ambassadrice des sans-voix. Aujourd’hui à travers cet ouvrage, le monde saura enfin ce que nous vivons. Au nom de tous les réfugiés et demandeurs d’asile en territoire grec, nous lui disons merci du fond du cœur.

Joseph Kierro, réfugié à Athènes

 

Mary Wenker rapporte des histoires touchantes sans s’approprier les paroles et le vécu des réfugiés. A travers un regard interne, ce livre permet à des jeunes de mon âge de mieux comprendre une réalité complexe que nous pensons connaître. Rien à voir avec ce que disent les médias qui minimisent la problématique.  A faire lire dans les écoles sans hésitation !

Jeanne Conus, étudiante (18 ans)

Disponible dans la boutique de notre site :

Echos de la mer Egée : Voix de réfugiés

 

 

 

 

Lettre à Jean Ziegler

 

En me rendant à Chios une nouvelle fois fin janvier 2020, j’ai pris le temps de lire l’ouvrage de Jean Ziegler. Le hasard des rencontres a fait que l’une de mes amies le connaissant lui a parlé de Choosehumanity. J’ai écrit à Jean qui m’a téléphoné le jour suivant. Magnifique échange.

Aka, 20 ans tout juste, que Choosehumanity héberge à Chios, a lu l’ouvrage. Et a rédigé un courrier à l’intention de l’auteur que je lui ai fait parvenir. Voici sa lettre :

 

Salut cher Monsieur Jean Ziegler,

Je m’appelle Aka, demandeur d’asile sur l’île de Chios. C’est avec tant d’émotions et de larmes que j’ai pu revivre mon histoire écrite par quelqu’un d’autre. Les maux dénoncés dans votre ouvrage m’ont fait pleurer. Nous réfugiés, nous n’avons jamais choisi de lier notre présent à l’Europe. C’est une situation brusque qui nous a conduit jusque là.

J’aimerais que le monde entier jette un coup d’œil sur ce livre intitulé « Lesbos, la honte de l’Europe ». Afin de mieux connaître l’expression « réfugiés ». Et pourquoi ce brusque déplacement. Nos vies ont basculé, nos rêves se sont éteints. Nous avons perdu toute confiance pendant notre déplacement, les séquestrations, les abus…

Toute cette situation nous laisse croire que nous ne sommes pas des êtres humains. Et une fois arrivé en Grèce, accueillis et conduits dans des centres de réfugiés, la manière dont nous sommes traités nous donne la certitude que nous sommes moins que des êtres humains. Nous avons perdu le sourire, et l’espoir. Et nous nous demandons quand est-ce que nous allons les retrouver.

Comme la cité un contemporain de la littérature engagée Aimé Césaire dans l’un de ses ouvrages, « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de voix ». Vous avez dénoncé avec bravoure les conditions de déplacement, de voyage, d’accueil, de toutes ces personnes persécutées dans leurs différents pays d’origine. Vous avez inscrit dans votre ouvrage la manière dont sont traités les demandeurs d’asile une fois arrivés sur l’une des îles de la Grèce. Que l’Europe toute entière puisse connaître cette réalité.

Merci d’avoir dénoncé les injustices que subissent les voix sans bouche ! »

Aka
Chios, le 3 février 2020