Soignez-moi ! Samos en mars 2021

Samos. Une seule ONG, MedequaliTeam, pour dispenser des soins de base et pallier à l’insuffisance (j’allais dire incompétence) de prise en charge du médecin du camp qui, en véritable censeur,  décidera d’écouter les plaintes de quelques patients parmi les dizaines qui piétinent en longue file pendant de nombreuses heures devant son bureau. Son choix est plus dicté par son exaspération, sa lassitude que par les critères rigoureux de la médecine. Ces « privilégiés », jamais examinés cliniquement, seront renvoyés en moins d’une minute ou recevront soit une prescription de médicaments qu’ils viendront chercher à l’ONG soit un rendez-vous à l’hôpital pour une radiographie, une prise de sang, ou une consultation, souvent repoussée, obligeant le migrant à parcourir à nouveau à pied 4 kilomètres de route.

H.B. réfugié a écrit son épopée et relate la vie du migrant. Un extrait de son texte illustre bien la situation sur le plan sanitaire :

 

« J’étais présent lorsqu’un frère camerounais a perdu la vie alors qu’il demandait juste de l’aide au médecin grec. Il a été abandonné à son propre sort jusqu’à sa mort. J’étais présent lorsqu’un Gambien a été sommé de quitter l’hôpital et le lendemain il a été retrouvé mort dans sa tente. J’étais présent lorsqu’un congolais n’a pas été pris en charge à l’hôpital et a perdu la vie à cause de la négligence du médecin qui a refusé de l’examiner. Racisme ? J’étais présent lorsque deux arabes ont tenté de se suicider  suite au refus de l’asile ce qui les a conduits à leur arrestation par la police.

J’étais présent lorsqu’un africain a fait une crise cardiaque puis a été transféré à l’hôpital ou on l’a déclaré en bonne santé. Il est maintenant hémiplégique… »

Les médecins de MedequaliTeam reçoivent plusieurs dizaines de patients  quotidiennement, parfois avec difficulté et inquiétude dues à leur inexpérience car les pathologies rencontrées nécessitent une prise en charge dictée par les particularités de la situation.

Il y a bien sûr les syndromes douloureux comme les céphalées, les douleurs dorsales et articulaires, les troubles digestifs liés aux conditions de vie et d’alimentation – déshydratation et malnutrition favorisée par un état dentaire souvent catastrophique, les troubles respiratoires, les troubles du sommeil. Toutes les plaintes somatiques sont amplifiées par le psychisme : anxiété, dépression, troubles de l’humeur, auto agression, insécurité et violences, pour lesquels nous ne pouvons que répéter de bonnes paroles et des encouragements  puisque l’utilisation de psychotropes est formellement interdite.

La situation s’est aggravée avec le confinement et l’hiver ; froid vif et pénétrant, rafales récurrentes de vent qui emportent les tentes, pluies torrentielles qui inondent le terrain et détrempent vêtements, sacs de couchage. La nourriture doit être gardée dans des caisses métalliques pour éviter le pillage par les rats qui creusent des galeries souterraines lorsque le bas des tentes est protégé par des cartons et planches de bois… Morsures de rats, refroidissements, toux garantis …

Et puis il y a les pathologies qui nécessitent une action plus rapide pour éviter les complications.

Chance pour moi d’utiliser mon expérience et mes cheveux blancs pour imposer plus facilement des traitements ou imaginer des solutions de fortune.

Je pense à I… 26 ans, avec troubles respiratoires dus à un volumineux kyste thyroïdien comprimant la trachée, attendant un traitement depuis 6 mois, et qui a enfin pu être ponctionné

A  Madame Y…, 59 ans, handicapée à cause de la déformation et de la flexion irréductible de ses genoux

A N… soufrant depuis plusieurs mois d’une tendinite d’Achille. La confection de talonnettes par de la mousse de bricolage lui a permis de remarcher dans la minute

A M… qui a un raccourcissement de la jambe gauche de 10 cm suite à une croissance localement altérée pour lequel une chaussure avec compensation a été bricolée avec les moyens de fortune.

Chaque rencontre fut une expérience humaine magnifique car le soin médical ne se résume pas à distribuer quelques pilules, comme je l’ai vu souvent. La prise en charge respectueuse doit comporter explications, conseils de prévention pour le présent et le futur, information sur les médicaments prescrits et sur leur efficacité attendue. Elle doit être aussi rigoureuse que partout ailleurs. Et ne pas oublier qu’Il faut traiter différemment une patiente africaine de 40 ans avec  lombalgie et un syrien lombalgique de 20 ans faisant ses prières quotidiennement.

Et il y a le coronavirus. Contamination dans la ville surtout, dans une moindre mesure dans le camp. Augmentation sans surprise. Les protections recommandées ne sont pas appliquées. Les Grecs se baladent en groupe, masque sous le nez ou absent. Chasse de la police pour verbaliser les quelques migrants,  traités en pestiférés, qui abandonneraient les précautions comme les autochtones…

H.B. :   « Quelques immigrés sont enfermés pendant 14 jours dans des conteneurs pour avoir été testé positifs puis  relâchés sans nouveau test de contrôle d’éradication. Nous voyons Thierry, enfant congolais de 8 ans, bien connu de la plus part des réfugiés pour son grand  sens de l’humour, déambuler à l’extérieur des grilles, il connaissait toutes les ouvertures cachées, et jouer avec ses amis alors que son test était positif.  Surprise et incompréhension : c’est sa mère,  négative, qui sera mise en quarantaine à sa place. Quant à lui, il rejoignait sa mère dans les conteneurs  d’isolement pour la sieste ou le coucher. »

J’ai eu le plaisir de rencontrer la journaliste Isabelle Ducret tournant un reportage pour Temps Présent et de la mettre en contact avec quelques réfugiés.  Ce reportage sera diffusé fin avril début mai et donnera la parole aux « prisonniers » de Samos. Choc de la réalité garanti.

Pierre-Alain Schmied

Médecin bénévole

Membre du comité de Choosehumanity

Eldorado à quatre chiffres

Mille six cent vingt-trois.  C’est le nom que je porte désormais. C’est le numéro qui figure sur le petit papier fatigué qui m’a été remis lorsque mon tour est venu.

J’ai tendu la main comme je l’ai fait à de trop nombreuses reprises, de façon plus mécanique encore depuis l’apparition de ce fichu virus, occasion rêvée pour les autorités de restreindre ma liberté de mouvement, et celle de tous les autres dans le camp surpeuplé où j’ai stagné depuis mon arrivée en Grèce.

J’ai tendu la main et j’ai laissé glisser entre mes doigts les quelques espoirs qui avaient réussi à survivre jusque-là. Et avec eux, juste avant de franchir la porte de ce camp flambant neuf financé par l’Union Européenne, mon âme et mon cœur qui n’auraient pas, je le savais, survécu au destin qui serait le mien désormais. Celui d’une femme à qui l’on avait petit à petit volé son humanité, contenue dans un corps qu’elle ne reconnaissait plus.

Dans une autre vie, je m’appelais Bushra. J’étais une femme libre, originaire d’un pays qui ne tolère pas que les femmes pensent par elles-mêmes, se battent pour des idées, revendiquent leur autonomie. « Chez moi », il n’est accordé aux femmes que le seul droit d’enfanter, d’assurer le maintien du foyer. Et de servir le thé aux nombreux invités de passage bien sûr, mais toujours le visage partiellement dissimulé sous un voile sombre que j’avais très jeune déjà rejeté.

Je me suis enfuie avec des rêves plein la tête, riche et fière de tous mes combats, de quelques réussites aussi. Je garde de moi le souvenir d’une jeune adulte qui, à plusieurs reprises, avait été choisie par notre groupe de militantes pour exprimer haut et fort nos revendications sur une chaîne YouTube que nous alimentions dans la clandestinité. Me dévoiler, dans tous les sens du terme, avait rapidement fait de moi une cible à éliminer.

J’ai donc fui en direction de « l’Eldorado », continent des droits humains, convaincue de pouvoir là-bas continuer à livrer un combat essentiel à mes yeux pour briser les chaînes de toutes celles qui, au pays et ailleurs encore, continuaient de souffrir en silence.

Je porte désormais le numéro mille six cent vingt-trois.

Je suis le numéro mille six cent vingt-trois.

Et je choisis, en ce dernier jour de la troisième décennie d’un siècle qui aurait pu être celui de tant de renouveaux, de n’être plus qu’un corps dans une file d’attente, d’abandonner derrière le grillage ma capacité à penser, ma capacité à ressentir, ma capacité à aimer, ma capacité à souffrir.

  • « Mille six cent vingt-trois !»

L’homme me tend une couverture, inscrit quelque chose dans le carnet qu’il tient dans ses mains, pointe du doigt un container partiellement occupé déjà. « Toi, tu vas là !»

Dois-je prétendre avoir eu de la chance ? Le voyage à travers les montagnes en direction de la frontière turque s’était déroulé dans ce que l’on pourrait considérer comme de bonnes conditions. Certes, nous avions marché des heures durant, mes pieds saignaient, il faisait froid. La nourriture et l’eau que nous portions sur notre dos étaient rapidement venues à manquer, il avait fallu abandonner en route une partie de nos effets personnels pour voyager plus léger, avancer plus vite. J’avais pris soin de mettre bien à l’abri dans un sachet de plastique mon téléphone portable, et la photo de Farida prise peu avant mon départ. Elle était avec moi Farida, et chuchotait à mon oreille les mots d’encouragement pour me permettre de continuer à mettre un pied devant l’autre. Le voyage fut rude, nous n’avions été contraints d’abandonner quelqu’un sur la route : ni un vieillard épuisé, ni même une femme enceinte sur le point d’accoucher. Nous étions partis à vingt-six et nous étions arrivés tout autant de l’autre côté de la frontière. Une forme de victoire – ou de chance – que j’avais aussitôt communiquée à mon amie chérie. « Jusque-là tout va bien ! Je t’aime !»

Enfant déjà, j’étais fascinée par l’art et les cultures de ces peuples qui nous étaient souvent décrits comme « des ennemis à combattre pour permettre à l’islam de se répandre sur la terre entière, et de la sauver ! ». Lorsque notre enseignant brandissait des images de femmes vêtues à l’occidentale, ou de figures religieuses supposées orner les églises de « l’ennemi », mes camarades, eux, brandissaient leur poing, les yeux pleins de colère. « Ne montre pas tes jambes ! Impures ! L’islam ne tolère aucune image sainte, impure ! ».  Moi, ces images me donnaient des ailes ! Je devenais l’oiseau majestueux, infatigable, parcourant des milliers de kilomètres à la quête de trésors et de beauté. Sans doute cette fascination a-t-elle joué un rôle déterminant dans l’amitié qui, quelques années plus tard, allait naître de ma rencontre fortuite avec Farida. T’en rappelles-tu, mon amour ?

Farida n’avait pas, comme moi, été cantonnée à la maison la puberté une fois atteinte, en attendant qu’un époux lui soit attribué. Elle avait achevé sa scolarité, soutenue par une mère enseignante. Farida qui chante, Farida qui danse, Farida qui rit, qui pleure, qui donne, généreuse… Farida qui aurait pu se contenter d’évoluer dans le milieu qui était le sien, bien plus ouvert que celui d’une majorité d’entre nous, mais qui avait choisi de s’engager dans le combat pour la liberté de toutes les autres.

Chez Farida, il y avait une bibliothèque, dans un coin un peu sombre de la maison. Nous passâmes ensemble des heures à tourner et retourner les pages, à décrypter des textes dans une langue qui n’était pas la nôtre. Un ouvrage en particulier retenait à chaque visite toute mon attention. Un livre relié à l’ancienne, qui nous ouvrit toutes grandes les portes de Constantinople, sise entre deux cultures, et qui devint en quelque sorte le symbole de celle que je souhaitais devenir : une composition originale et unique, élaborée à partir des multiples expériences que je pourrais vivre où que je sois. Je devenais alors à tour de rôle icône, fresque, sculpture contemporaine, tellement plus encore.

Lorsque nous atteignîmes Istanbul quelques jours plus tard, il ne fut bien sûr pas question de partir à la découverte de la ville. L’idée même de le faire ne nous avait pas effleuré l’esprit. Notre passeur nous déposa devant un vieil immeuble décrépit dans un quartier de la périphérie. Un autre homme, tout aussi rude, prit le relais et nous intima l’ordre d’éteindre nos téléphones portables avant de nous installer dans la pièce qui nous était réservée. Je me suis alors envolée dans le souvenir des images qui virevoltaient dans mes pensées comme autant de papillons d’une légèreté inégalable, admirant les icônes de Sainte-Sophie, les fresques anciennes de l’église de Khora, me nourrissant de couleurs et d’harmonies, des observations que je collectionnais assise sur une terrasse au bord du Bosphore, de voix, de musiques aussi, comme autant de souffles qui firent de ce mois d’attente – le confinement avant le confinement ! – un espace serein.

Lorsque l’on nous indiqua que nous allions être déplacés, j’interrompis avec regret mon voyage intérieur. J’avais perdu toute notion du temps, et fus surprise d’apprendre que quelques jours seulement nous séparaient de la nouvelle année. L’idée de ce passage vers un avenir que je concevais comme plus lumineux me permit de réunir les forces nécessaires à affronter ce que je savais être périlleux. Traverser les quelques kilomètres qui séparent la Turquie de la Grèce n’est pas une mince affaire, à moins d’avoir entre les mains un passeport reconnu et un billet de ferry !

Notre passeur suivant choisit de nous faire embarquer le 31 décembre 2019. « Les garde-côtes auront autre chose à faire que de surveiller la mer », affirma-t-il. « Ils vont faire la fête, et vous aurez pleine vue sur les feux d’artifices de tous les côtés ! ».

La traversée s’amorça dans une relative tranquillité. Les quelque quarante passagers scrutaient la nuit noire pour y trouver un petit quelque chose à quoi se raccrocher, ne serait-ce qu’une étoile plus scintillante que les autres dans le ciel. Certains priaient, d’autres berçaient leur enfant. Les larmes coulaient en silence comme pour adoucir la brume salée qui recouvrait les visages.

Peu après le départ, des feux d’artifice colorèrent les côtes à droite et à gauche. Mais personne n’y prit garde. Tous étions occupés à survivre.

Lorsque les garde-côtes turcs nous repérèrent, poursuivirent notre embarcation en nous intimant l’ordre de faire marche arrière, nous menaçant même de leurs armes, nous fîmes la sourde oreille, affrontâmes les vagues en suivant les directives de notre passeur, « ne vous arrêtez pas ». Tous étions occupés à survivre.

Bientôt nous atteignîmes les eaux grecques. Les larmes se firent plus vives, les pleurs bruyantes, les prières reconnaissantes. Lorsque l’on nous prit en charge près du port de la petite île de Chios, chacun eut alors l’impression trompeuse d’avoir enfin atteint son paradis.

Quelques heures plus tard, on nous déplaça dans le camp, planté au milieu d’oliveraies qui s’éveillaient dans la douceur du jour naissant. C’est là que j’ai appris à tendre la main…Pour inscrire sur un document froissé mes empreintes digitales, saisir le drap mince que l’on me tendit en guise de couverture, obtenir une barquette de nourriture parfois avariée, saisir le petit papier sur lequel on avait inscrit la date et l’heure de mon entretien d’asile, vingt-huit mois plus tard. Un entretien qui, le temps de quelques 30 minutes, allait signer ma condamnation. Refusée.

L’apparition du COVID en avril 2020 marqua un nouveau tour de vis. Confinement. Des militaires armés s’assuraient que personne ne franchisse les limites du camp. Ceux d’entre nous qui s’aventuraient à l’extérieur, ne serait-ce que pour grappiller quelques figues, se voyaient infliger une amende équivalente à près du double des indemnités mensuelles consenties, mais surtout risquaient de voir leur demande d’asile être refusée sous prétexte de manque de collaboration. Confinement prolongé à des multiples reprises, alors même qu’aucun cas n’avait été identifié sur l’île. De mois en mois d’abord. D’année en année ensuite. Nous nous étions engouffrés dans un entonnoir qui nous avala bâillonnés, sans que personne ne s’en inquiète. Dans tous les camps de réfugiés des îles de la mer Egée, les droits humains étaient désormais bafoués sans que personne ne le dénonce. Nous fûmes sacrifiés sur le bûcher de l’Union Européenne qui se réjouissait désormais de ne plus avoir à nous accueillir ou à nous refouler à ses frontières.

Lorsque les camions de l’armée grecque apparurent à l’horizon ce matin du 31 décembre 2020, lorsque l’on nous demanda de rassembler nos affaires, lorsque l’on nous ordonna de nous mettre en rang avant de prendre place dans les véhicules, personne ne songea même à poser la moindre question. Nous nous étions terrés dans le silence depuis trop longtemps.

J’ai regardé défiler sous mes yeux les paysages poussiéreux sans qu’aucune image ne réanime ma mémoire. Farida même se tut.

Passé la porte de ce camp fermé où je devrais attendre mon renvoi,

j’ai simplement

arrêté

de respirer…

Les quatre chiffres de mon nom s’envolèrent portés par mon ultime souffle vers un autre Eldorado.

 

Mary Wenker

 

Echos de la mer Egée – voix de réfugiés

« Echos de la mer Égée – voix de réfugiés » est le fruit de nombreuses rencontres, d’une intimité partagée d’humain à humain. Écrire et partager ces histoires résulte d’un constat alarmant : ces hommes, ces femmes et ces enfants ont perdu sur le chemin de l’exil toute leur dignité. La parole ne leur est plus que rarement accordée. Ils ne sont désormais appréhendés que comme « réfugiés », dans une approche stéréotypée qu’il convenait de rectifier.

Il importait à l’auteure d’impliquer les principaux intéressés dans le processus de construction de ce recueil. Les textes ont ainsi été transmis à celles et ceux qui les ont inspirés, traduits le plus souvent dans leurs langues d’origine. Leurs relectures ont souvent suscité larmes et émotions, mais comme l’a souligné Elker après avoir pris connaissance du texte qui la concernait, elles ont permis également de mesurer le chemin parcouru. Tous ont été profondément touchés de savoir que leurs voix étaient portées au-delà des grillages des camps et c’est avec gratitude qu’ils ont accepté que les textes soient publiés.

Afin de préserver leur intimité, possibilité leur a été offerte de ne pas faire apparaître leur prénom réel. Certains ont ainsi choisi un autre prénom… Celui de l’enfant à naître qui n’a pas survécu pour Elker, le prénom d’un frère, d’un ami, d’une figure de force pour d’autres.

Les textes comportent de nombreuses paroles rapportées le plus fidèlement possible. Elles apparaissent en italique. Ce sont leurs voix. Puisse le lecteur en percevoir les nuances et ressentir les émotions qu’elles traduisent. Indépendantes les unes des autres, les histoires se découvrent selon l’ordre choisi par le lecteur.

S’il porte la signature de Mary Wenker, « Echos de la mer Égée » n’en reste pas moins un travail collectif, un voyage à multiples mains, une chorale multiculturelle pour ouvrir les consciences.

 

Ce qu’ils en pensent…

La lecture de ce recueil m’a immédiatement séduit. Chacun de ces textes témoigne d’une profonde humanité, de liens à l’Autre que Mary sait tisser avec respect. Le respect et la reconnaissance, se sentir humain enfin à nouveau, tels sont les besoins – banals peut-être – que chaque réfugié éprouve au plus profond de lui-même.

Jean Ziegler, auteur de l’ouvrage « Lesbos, la honte de l’Europe » (Seuil, 2020)

Mary Wenker a le talent immense de mettre sa colère au service des démunis en leur donnant la parole. Magnifique et percutante écriture pour partager des moments de vies parties en miettes devant nos yeux grands ouverts, mais tellement aveugles…

Émotions garanties avec ces traces de vie récoltées par Mary qui, je l’espère, germeront et enrichiront notre terre de beauté partagée. Pour aussi savoir que nous sommes toutes et tous, citoyens du monde, concernés par les décisions politiques de nos dirigeants et que nous devons tous ensemble les influencer pour un monde juste… Dans l’immédiat, nous avons un devoir de solidarité et pouvons dès aujourd’hui faire en sorte que la parole de tous ces oubliés soit entendue et écoutée.

C’est aussi plein d’émotion que j’ai retrouvé dans ce livre magnifique, les destins brisés de quelques hommes, femmes, enfants, rencontrés grâce à Mary.

Pierre-Alain Schmied, médecin bénévole

 

Ce sont des témoignages forts que Mary Wenker nous fait écouter dans Échos de la Mer Égée. Comme celui d’Omar dont une bombe a fracassé les rêves et qui dépérit handicapé dans l’indifférence médicale d’une Grèce abandonnée par l’Europe. Ou M’Bé, jeune Africaine qui a dû fuir après un simple baiser donné à son amie car dans son pays, on risque la mort pour être « comme ça ». Dans les camps de réfugiés des îles grecques, le travail des bénévoles comme Mary est présenté avec pudeur, mais on en devine la généreuse nécessité.

Yves Magat, journaliste

 

Ce recueil fait de Mary Wenker l’ambassadrice des sans-voix. Aujourd’hui à travers cet ouvrage, le monde saura enfin ce que nous vivons. Au nom de tous les réfugiés et demandeurs d’asile en territoire grec, nous lui disons merci du fond du cœur.

Joseph Kierro, réfugié à Athènes

 

Mary Wenker rapporte des histoires touchantes sans s’approprier les paroles et le vécu des réfugiés. A travers un regard interne, ce livre permet à des jeunes de mon âge de mieux comprendre une réalité complexe que nous pensons connaître. Rien à voir avec ce que disent les médias qui minimisent la problématique.  A faire lire dans les écoles sans hésitation !

Jeanne Conus, étudiante (18 ans)

Disponible dans la boutique de notre site :

Echos de la mer Egée : Voix de réfugiés

 

 

 

 

Lettre à Jean Ziegler

 

En me rendant à Chios une nouvelle fois fin janvier 2020, j’ai pris le temps de lire l’ouvrage de Jean Ziegler. Le hasard des rencontres a fait que l’une de mes amies le connaissant lui a parlé de Choosehumanity. J’ai écrit à Jean qui m’a téléphoné le jour suivant. Magnifique échange.

Aka, 20 ans tout juste, que Choosehumanity héberge à Chios, a lu l’ouvrage. Et a rédigé un courrier à l’intention de l’auteur que je lui ai fait parvenir. Voici sa lettre :

 

Salut cher Monsieur Jean Ziegler,

Je m’appelle Aka, demandeur d’asile sur l’île de Chios. C’est avec tant d’émotions et de larmes que j’ai pu revivre mon histoire écrite par quelqu’un d’autre. Les maux dénoncés dans votre ouvrage m’ont fait pleurer. Nous réfugiés, nous n’avons jamais choisi de lier notre présent à l’Europe. C’est une situation brusque qui nous a conduit jusque là.

J’aimerais que le monde entier jette un coup d’œil sur ce livre intitulé « Lesbos, la honte de l’Europe ». Afin de mieux connaître l’expression « réfugiés ». Et pourquoi ce brusque déplacement. Nos vies ont basculé, nos rêves se sont éteints. Nous avons perdu toute confiance pendant notre déplacement, les séquestrations, les abus…

Toute cette situation nous laisse croire que nous ne sommes pas des êtres humains. Et une fois arrivé en Grèce, accueillis et conduits dans des centres de réfugiés, la manière dont nous sommes traités nous donne la certitude que nous sommes moins que des êtres humains. Nous avons perdu le sourire, et l’espoir. Et nous nous demandons quand est-ce que nous allons les retrouver.

Comme la cité un contemporain de la littérature engagée Aimé Césaire dans l’un de ses ouvrages, « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de voix ». Vous avez dénoncé avec bravoure les conditions de déplacement, de voyage, d’accueil, de toutes ces personnes persécutées dans leurs différents pays d’origine. Vous avez inscrit dans votre ouvrage la manière dont sont traités les demandeurs d’asile une fois arrivés sur l’une des îles de la Grèce. Que l’Europe toute entière puisse connaître cette réalité.

Merci d’avoir dénoncé les injustices que subissent les voix sans bouche !”

Aka
Chios, le 3 février 2020

Le point en avril 2019

Main dans la main, en commentant plein de vie ce qu’ils apercevaient sur la mer, de l’autre côté de la route… Observant d’un peu plus loin Karam et son petit frère alors que nous nous rendions au bowling du coin pour faire une partie, l’émotion est montée d’un seul coup. Ce petit garçon que j’avais découvert cloitré dans son appartement, silencieux parce qu’il ne parlait pas devant une personne étrangère à la famille, accroché au bras de sa mère, ce garçon qui me restera cher à tout jamais, avait renoué avec la vie. Et pourtant… Il n’avait jamais été scolarisé, n’avait pu l’être en Grèce, et se retrouve aujourd’hui sur la route des Balkans, attendant que la neige fonde pour poursuivre en famille sa route vers un futur improbable. Mais il souriait, riait, avait dépassé quelque part un traumatisme qui l’avait trop longtemps bloqué. Et les messages, les photographies qu’il m’adresse encore aujourd’hui en témoigne : ce petit garçon dispose d’une belle résilience, et sans doute la présence de Choosehumanity sur place lui a-t-elle permis de fleurir…

Si j’évoque aujourd’hui cette rencontre, c’est qu’elle joue un rôle motivationnel important pour la poursuite de nos actions sur le terrain. Certes, nous distribuons des vêtements et de la nourriture… Certes, c’est important. Mais les effets ne sont pas durables, ce qui nous donne parfois ce vertige engendré par un puits sans fond. Les actions individuelles, telles la prise en charge d’un enfant en souffrance, la mise à disposition d’un physiothérapeute pour en stimuler un autre et apprendre à sa mère les gestes à prodiguer pour garantir un effet qui perdure, l’apprentissage de techniques respiratoires pour faire face aux angoisses, le soutien psychologique que l’on peut offrir sont autant de façon sont autant de façons, dans une relation de proximité, d’agir sur un plus long terme. Les deux approches sont nécessaires, aussi est-ce dans cette direction-là que nous poursuivrons notre route cette année.

Dans le feu de l’action, il est parfois difficile de mesurer les accomplissements. La préparation de notre troisième assemblée générale en mars dernier nous a permis de le faire. Nous pensons avoir accompli “de grands petits pas”, et quelque part, nous en sommes fiers. Fiers aussi de pouvoir inscrire nos actions dans un partenariat constant avec différentes instances locales.

Fin 2018, Choosehumanity créait une association partenaire reconnue par les autorités grecques : ΠΡΩΤΑ Ο ΑΝΘΡΩΠΟΣ (ChooseHumanity – Greece). Celle-ci prendra en charge le volet légal, et plus particulièrement le projet “Asylum Seekers Information Services Team (A.Ss.I.S.T.)” qui permettra aux réfugiés d’être mieux préparés à leur premier entretien d’asile. Vous trouverez sur le site www.assistchios.info de nombreuses informations le concernant.

Est-il utile de préciser que les questions financières restent toujours aussi douloureuses ? Nous avons l’an dernier déployé une énorme énergie à rechercher des fonds, sans vraiment rencontrer le succès espéré. Il devient de plus en plus difficile de gagner la confiance du public, surtout pour des domaines où “les images émotionnelles” ne peuvent pas être produites (les aspects légaux notamment, mais aussi tout ce qui concerne des frais tels que la location d’un local, la réparation de la voiture de fonction, la benzine si onéreuse en Grèce). Nous nous refusons d’ailleurs d’entrer dans ce jeu-là…. Non… Nous ne posterons pas le portrait d’un enfant en larmes pour toucher le coeur d’éventuels donateurs. Un peu naïvement peut-être, nous voulons continuer à croire que nous sommes entourés de personnes qui nous accordent leur confiance pour définir les priorités. Et peut-être que parmi celles et ceux qui nous lisent ici, certains se manifesteront pour nous servir de relais et toucher des milieux qui ne nous sont pas familiers (économiques, médicaux, juridiques).

Continuez de nous suivre sur Facebook (Choosehumanity) et alimentez notre motivation en diffusant autour de vous tout ce qui pourrait contribuer à mieux faire connaître ce qui se passe à Chios, et plus largement en Grèce. Cela nous concerne tous !!!

 

 

 

Merci, “docteur Pierre”

Après une seconde mission de 4 semaines sur le terrain, Pierre-Alain Schmied (médecin recommandé par Choosehumanity à une équipe médicale sur place), a fait parvenir à ses proches un courrier que nous tenons à partager ici. Nous retrouvons aisément dans ses lignes sa grande humanité et son professionnalisme. Nous tenons à lui dire combien nous sommes fiers de pouvoir collaborer avec lui, et le remercions du fond du coeur pour toute l’attention qu’il a offerte (et continue d’offrir depuis la Suisse) aux réfugiés de Chios. BRAVO, “docteur Pierre” comme le nomment les gens là-bas.

Tu es une personne hors du commun !!!!

Pouvoir bénéficier de ta confiance et de ton soutien est un cadeau !!!

 

Courrier de Pierre-Alain adressé le 11 novembre 2018

Chers amies et amis,proches et lointains qui m’avez encouragé et soutenu,

Sentiment mitigé après un second séjour à Chios pour aider les nombreux réfugiés qui continuent d’arriver  en nombre. Le manque de places est criant. Les nouveaux venus, entassés au mieux dans de petites tentes, au pire à la belle étoile,  reçoivent une unique couverture permettant à peine d’adoucir le poids du corps sur le sol dur. Pas moyen de se protéger du froid qui envahit peu à peu l’île et le camp, ni des rats qui prennent possession des lieux, s’activant nuit et jour depuis octobre.

L’administration du HCR et de l’Union européenne est débordée. Les seconds entretiens des réfugiés pour évaluer le droit à l’asile sont programmés en 2021, voire 2022, imposant de survivre dans l’enceinte du camp dans des conditions déplorables. Les situations médicales individuelles particulières, dramatiques, ne sont pas prises en compte.

Médicalement, la situation est catastrophique : pas de médicaments, délai d’attente de plusieurs mois pour un traitement spécialisé.  J’ai vu en nombre des réfugiés de Syrie, d’Iran, d’Irak, d’Afghanistan, du Cameroun, des deux Congos, du Ghana, psychologiquement et physiquement détruits par les violences subies dans leur pays : paralysie due à des lésions de la colonne vertébrale, lésions thoraciques et abdominales par arme blanche et explosions, séquelles physiques et psychologiques de viols en bande de femmes,  et d’hommes aussi, : dépression, attaque de panique, anxiété, fibromyalgie invalidante, état douloureux chronique,  infections virales (hépatite B, HIV), blessures séquellaires sévères  de la sphère génitale avec des prises en charge physique et psychologique au printemps 2019, au plutôt…

Que dire à cette femme de 26 ans, violée, en pleurs, devant partager une petite tente avec 5 hommes inconnus, et à qui je dois annoncer la contamination par le virus de l’hépatite B et qu’on ne pourra pas obtenir les tests virologiques complémentaires pour connaître le stade de l’infection ?

Que dire à cette femme  de 60 ans, souffrant d’ostéoporose, dont le traitement a été confisqué par la police à son arrivée, et qui attend depuis plus d’un mois le traitement ad hoc demandé dans un rapport médical circonstancié pour éviter une fracture de la colonne vertébrale ou du fémur ?

Que dire à ce réfugié violé en bande, qui attend depuis de nombreuses semaines de voir le chirurgien pour réparer la destruction musculaire anale et le prolapsus rectal ?

Que dire à cet homme qui attend depuis avril une prise en charge de sa contamination HIV ?

Que dire à ce jeune de 17 ans, après avoir suturé les lésions multiples d’automutilation par rasoir, que l’aide psychologique  ne peut être apportée ?

Que dire à cette jeune femme avec une scoliose sévère  et bosse lombaire, dormant sur par terre, que le matelas demandé pour éviter des complications de la moelle épinière est refusé ?

Que dire à ces femmes et hommes, nombreux, qui ont développé  une fibromyalgie, état douloureux permanent et invalidant, empêchant le sommeil, et dont le seul traitement médicamenteux possible est retardé ou refusé pendant des semaines, malgré justification médicale répétée, par des fonctionnaires non médecins. 

Dans le chaos ambiant, je me dois cependant de souligner les actions remarquables et indispensables :

– De Choosehumanity, à Fribourg, et de sa présidente Mary Wenker, qui sans relâche avec l’aide de Nina, bénévole américaine, distribue vêtements et couvertures, lait pour les nouveaux nés, assure le traitement de physiothérapie de paraplégiques, fournit les moyens auxiliaires pour faciliter la vie quotidienne des blessés de guerre. De sa collègue qui effectue des traductions et coordonne leur projet si important “Emergency Legal Aid / ELA Chios”,

– De l’organisation Chios Advocates Abroad qui tente d’infléchir l‘immobilisme des autorités dans les situations désespérées,

– De Jasper, réfugié syrien, qui cuisine quotidiennement plus de 250 repas, pour nourrir notamment les réfugiés disséminés dans la ville, mais aussi les jeunes mineurs non-accompagnés pris en charge par une institution qui dit ne pas disposer des fonds nécessaires à les nourrir.

Je me sens impuissant après 4 semaines sur place, même si whatsapp permet de maintenir les liens tissés et d’agir à distance pour maintenir une pression sur les décideurs, alors que Mary, Nina, Jasper continuent avec courage et ténacité depuis de nombreux mois et années d’apporter une aide pratique et quotidienne avec humanité  et chaleur humaine dans ce monde de violence qui nous concerne et dont nous sommes tous responsables.

Merci à vous, amies, amis, qui avez témoigné de votre empathie et de votre soutien par vos messages, vos actions et vos dons à Choosehumanity.

Avec mes meilleures salutations.

Pierre Alain

Fière de toi !!!!!!

Tu as 32 ans et tu as la vie devant toi !!!!

Tu n’as pas gagné le gros lot en naissant dans un pays dont le peuple doit se battre pour survivre. Dans un pays où l’école et la formation ne font pas partie des priorités. Dans un pays où les bombes pleuvent, où la violence fait rage. Les départs dans la vie dont souvent déterminés par un hasard qui me glace, me révolte. Première injustice, avec laquelle il faut vivre. Ou survivre…

Alors que tu rejoignais la ville pour tenter d’y trouver un travail, tu as été victime d’un bombardement. Sans le soutien des tiens, sans un accompagnement médical digne de ce nom, tu es parvenu à récupérer l’usage de tes jambes, tant bien que mal. Mais tu savais que là-bas, tu ne pourrais pas aller beaucoup plus loin. Alors tu as décidé de partir. Et comme tant d’autres, tu as rejoint la Turquie avant de t’embarquer dans un bateau de fortune pour rejoindre la Grèce. Et tu es arrivé à Chios, où je t’ai rencontré. Un homme de courage !

A l’hôpital où tu as été emmené, un médecin, aussi pourri que tant d’autres là-bas, t’a signifié que jamais tu ne pourrais retrouver l’usage de tes jambes. Et on t’a cloué dans une chaise roulante. Cette même chaise où tu étais assis, lors de notre première rencontre, le regard si triste… Tu n’as plus quitté ta chambre et tu as sombré dans une dépression profonde. Tu as pu bénéficié d’un soutien psychologique quelques mois, avant que le UNHCR ne coupe les vivres et te dirige vers l’hôpital pour poursuivre le traitement… Qui n’a jamais repris, puisque tu n’as jamais été contacté…

Je t’ai rencontré et je t’ai dit que si tu n’avais plus la force d’agir, j’aurais la force de pousser ta chaise. Le lendemain, tu te tenais droit sur tes jambes, t’aidant de cannes que personne n’avait pensé à te fournir. Et tu as promis que chaque jour, tu marcherais un peu pour renforcer ta musculature. Que chaque jour tu irais respirer l’air à l’extérieur de la pièce. Qu’un jour, tu serais à nos côtés pour oeuvrer comme bénévole, parce que tu as tant à offrir.

Je suis si fière de toi. Je crois en toi ! Poursuis ce chemin la tête haute !!!!!

Tu ne dois rien à personne !!!! Tu ne peux qu’être fier de toi !!! Tu es un héro !!