La musique : un langage universel qui rassemble

Bien que notre association Choosehumanity soit majoritairement active en Grèce, il nous arrive de mener des projets en Suisse, toujours dans le même esprit : faire une place aux personnes souvent marginalisées en raison de leur statut de migrantes. Place aujourd’hui à Delina, jeune éthiopienne d’une vingtaine d’années. Elle évoque dans cet article le projet Musique sans frontières qui se poursuit aujourd’hui grâce au soutien de Fribourg ville plurielle et Ici-Ensemble, dans un partenariat avec l’espace culturel La Coutellerie à Fribourg. Un grand merci à Alexandre Cellier pour sa contribution généreuse à ce projet magnifique !

Notre projet Musique sans frontières est né d’une conviction simple mais essentielle : la musique est un langage universel qui a le pouvoir de rassembler les gens, de briser les barrières et de créer du lien.

Au départ, le but de notre projet Musique sans frontières était de réaliser un concert autour du thème de l’antiracisme. Mais très vite, nous nous sommes attachés à ce projet, et nous avons ressenti qu’il devait continuer. Ce n’était plus seulement un événement ponctuel : c’est devenu une partie de notre vie.

Avec ce projet, nous avons voulu créer un espace où chacun se sent libre, accueilli et reconnu, sans distinction. L’un de nos objectifs principaux est de lutter contre l’isolement et contre toutes les formes de racisme ou d’exclusion. La musique, les activités collectives et le partage deviennent des moyens pour dire “ici, personne n’est seul, tout le monde a sa place”.

Chaque mardi, nous nous retrouvons pour faire de la musique, partager un repas, rire ensemble. Peut-être que cela ne se voit pas toujours de l’extérieur, peut-être que certains n’expriment pas directement leurs émotions, mais au fond, chacun de nous est heureux. Nous avons trouvé un endroit où nous nous sentons considérés, accueillis, comme à la maison. C’était devenu une part de notre quotidien, un rendez-vous important qui nous relie les uns aux autres.

Concrètement, nous nous sommes impliqués à plusieurs niveaux pour le poursuivre. Nous avons travaillé à l’écriture d’appels à projets pour obtenir des financements. Nous avons aussi mis la main à la pâte : aller cueillir les fruits, préparer et vendre des confitures, participer à la cuisine des repas collectifs, et bien sûr, créer de la musique ensemble. Toutes ces activités ne sont pas seulement des tâches pratiques : elles deviennent des moments de rencontre, d’échanges et de coopération.

Ce projet nous apporte beaucoup. Nous avons appris à collaborer en équipe, à être créatifs, à découvrir de nouvelles cultures et à partager nos propres talents. C’est aussi une expérience qui nous aide à nous sentir plus intégrés dans la société, à trouver notre place et à contribuer positivement.

En résumé, Music Sans Frontière n’est pas seulement un projet musical. C’est un projet humain, un projet d’intégration et de solidarité. Il nous montre que lorsque nous faisons les choses ensemble, avec cœur et ouverture, nous pouvons créer des ponts au lieu de murs, et construire une communauté où chacun se sent respecté et valorisé.

L’objectif de ce projet est simple mais vital : offrir aux gens un lieu où ils peuvent être bien, où ils ne sont pas négligés, où ils se sentent partie intégrante d’une communauté. On n’a pas toujours besoin d’argent pour aider : ce qui manque le plus souvent, surtout pour nous les immigrants, c’est le soutien émotionnel, le fait de sentir que quelqu’un croit en nous, nous accueille et nous donne confiance.

C’est exactement ce que Music Sans Frontière nous a apporté. Ce qui devait être une expérience unique, une opportunité ponctuelle, s’est transformé en quelque chose de beaucoup plus grand, de durable, d’humain. Nous avons créé des liens, appris à travailler ensemble, et surtout, nous avons trouvé un espace où nous pouvions être pleinement nous-mêmes.

Merci infiniment à tous ceux qui ont rendu cela possible.

Delina, octobre 2025

 

Septembre 2025 – Athènes à nouveau

 

Athènes, ville aux vestiges somptueux qui ont vu naître la démocratie.

Athènes, prison ouverte dans laquelle les droits humains fondamentaux sont bafoués sans que cela ne soit dénoncé. L’on continue à renvoyer en Grèce les migrant·es qui y ont obtenu une protection internationale, mais ne parviennent pas à y survivre et tentent ailleurs de se reconstruire une dignité.

Témoignage de Pierre-Alain Schmied, membre très actif de notre comité, et que nous remercions chaleureusement.

Bonheur de revoir les migrants rencontrés entre 2018 et 2025 au hasard des missions à Chios, Samos, Athènes, Thessalonique. En voir de nouveaux dont plusieurs familles de mères seules avec enfants.

Évidence : la situation empire autant pour les bénéficiaires de l’asile que les recalés. Tous restent en précarité extrême vivant d’expédients et de petits boulots dans le meilleur des cas, ou plus dramatique tombés dans la rue faisant la manche, se nourrissant de reliefs trouvés dans les poubelles.

Je laisse de côté les situations médicales dramatiques sans issue pour parler de I…, africain rencontré à Samos en 2019 et dont la trajectoire d’intégration et d’autonomie est parfaite grâce à son caractère conciliant mais toujours acharné pour construire son avenir en Europe, en soutenant ses deux enfants restés au pays. En Afrique de l’Ouest, l’école, dès l’enseignement primaire, y est ouverte à qui paie…

I… est un réfugié politique dans la trentaine, pas un migrant économique. Il était menuisier dans son pays. La Grèce lui a accordé la protection internationale de l’union européenne attestée par les papiers d’identité de l’UE.

Tout semble optimal et parfait pour reconstruire sa vie.

Et pourtant… Il doit serrer les dents, se faire discret, tout accepter : précarité, humiliation. Un véritable statut d’esclave.

Depuis trois ans, il a un contrat de travail, luxe impossible à la majorité, qui stipule trois jours de 9 heures de travail journalier pour 35€ par jour. Deux semaines de vacances par année.

La réalité est différente.  Depuis trois ans, il travaille 9 heures par jour, 6 jours par semaine. Manœuvre dans la construction, grimpant sans relâche sans baudrier sur des échafaudages sans barrières de protection pour porter de lourdes charges. Pas de pause ou d’aménagement particulier lors de la canicule de juillet. Ses mains ont encore les marques de brûlures dues aux poutres métalliques surchauffées portées à mains nues.

Le salaire officiel hebdomadaire, selon son contrat, est versé sur son compte bancaire : 105€. Les heures supplémentaires ne sont pas payées.

Le solde du salaire pour les 3 jours supplémentaires non déclarés, 195 euros, est payé sous la table,  ce qui exclut une couverture complète d’assurance accident professionnel et une pleine cotisation pour la retraite.

Son optimisme a de la peine à cacher l’angoisse de l’accident, de la chute, entraînant une disparition de tout revenu pour payer logement, nourriture, le soutien à ses enfants, sans compter le risque de précarité, voire d’invalidité.

Bienvenue dans l’eldorado européen.

Prenez soin de vous et des autres

Doc Pierre

Regard de Sylvia, bénévole de passage à Athènes

Merci à Sylvia Breitling d’avoir consacré quelques jours de son temps aux activités de Choosehumanity ! Une première expérience du terrain qui n’était pas simple : le choc est grand. Nous lui avons demandé de rédiger un petit texte à votre intention. Le voici :

« L’épaisseur de la ville me happe dès la sortie du métro. Je traverse la place bondée en cherchant, non sans appréhension, Mary du regard. Elle me voit vite ; je la repère au jaune de son sac. Elle me présente Paul, une aide si précieuse à Athènes. Sourire immense et doté d’un éclat au coin de l’œil plus scintillant que l’Acropole qui s’affiche quelque part au loin dans la nuit, dotée de grands phares impudiques semblant nous forcer à la contempler, avec ses roches et ses siècles. Tellement loin de ce qu’il faut voir ici, regarder, vraiment. Paul engage rapidement le trajet, ondulant d’un pas svelte entre les obstacles: stands, passants, tables, poussettes, lits de camps. Commence une étrange croisade d’allées et venues. On glisse, coulisse, court ; (et je peine à suivre) à travers les rues, pièces, situations.

Ce que je ressens de cette «parenthèse de voyage» ou «de transit»… «Parenthèse» justement, n’en est pas une. C’est une «part entière» de la vie de Mary. Elle accompagne, «entraîne au vivant en vivant». On la sent ouverte, vraie, forte, sensible, ce qui permet de s’adosser, se sentir en sécurité pour la suivre et se confronter. On est amené à la légitimité de ses propres forces et fragilités. A soi, à «ça» ; Réalité. Il ne s’agit pas ici d’adapter, de déplacer ou d’intégrer l’autre mais bien de s’intégrer soi-même, et partager. Vivre. Ensemble. Réapprendre. Dans un contexte totalement nouveau, étranger, inconnu, trouver des manières de «fonctionner», de contribuer autant que possible à rendre peut-être plus «gérables», pas «supportables» quelques trajectoires de vie qui justement ne le sont pas. Étranges sensations de contradictions : L’Occident accueille mais enferme, emmure ; il s’agit d’accepter d’être pris dans un engrenage ou les pavés semblent constitués de sables mouvants. Tout glisse mais rien ne bouge. Ne peut être que temporaire. Provisoire. Mais cloisonné.

On cuisine, joue, mange, rit. On soupire, on pleure à l’intérieur. Mary porte, cherche, trouve, désigne, pointe du doigt. Des couches pour bébé, des médicaments, des draps; un examen médical ; un cours de grec ; un emploi. Vérifier des payements ; commander des clefs ; transmettre des consignes pour contrer des douleurs dorsales. On va à l’essentiel, avec une légèreté non feinte, puissamment importante tant elle est nécessaire ; dans ce contexte ou chaque angle, chaque contour, pourrait être à vif.

Au détour d’une conversation, d’un repas partagé sur le coin d’une table, des confidences partagées… «Elle a fui pour éviter l’excision à sa fille». «Le dernier enfant, il est arrivé en raison d’une capote pétée ; prostitution pour subsister».  «Il y en a qui étaient tellement seuls ; il fallait quand même quelqu’un pour les enterrer. Il n’y avait que moi». Brusquement, sur l’écran du téléphone portable, un visage aux yeux clos apparaît, enserré dans un capuchon qui n’est pas celui d’une parka mais bien d’un sac mortuaire. L’éclat rieur dans les yeux de  Paul me semble plus humide pendant un instant. Peut-être qu’on effleure ici la raison de son intensité. Et dont on ferait bien de s’inspirer.

L’émotion dans une étreinte. L’éclat de rire ricoche au creux de l’oreille. La glace qui coule sur la joue du petit. Madeleines de Proust, on l’espère. C’est tellement peu. Trois grains de sable dans un Océan. Tellement insuffisant. Mais c’est déjà ça. Parce que c’est intolérable. Et c’est maintenant. »

Merci Sylvia pour ce texte émouvant !

Doc Pierre, retour de Thessalonique

Fin février 2025, nouveau départ pour la Grèce,  l’idéal  de Choosehumanity dans la tête, les médicaments dans la valise, des euros dans la poche  pour offrir quelques soins dentaires.

Retrouver Thessalonique pour cinq semaines. Froid hivernal et ciel voilé, assombri de pollution et de particules fines contrastant avec la lumière éclatante des stations rutilantes du métro automatique récemment ouvert avec la superbe et étonnante station Venizelou, véritable musée mettant en scène ruines grecques et romaines avec photos et videos explicatives. Touristes peu nombreux malgré l’ouverture du festival international de films documentaires.

Rejoindre l’ONG médicale, travailler avec de nouveaux volontaires, collaborer avec  Sarah,  coordinatrice médicale dont le professionnalisme et l’empathie allègent le quotidien, apaisant les tensions avec subtilité et les rivalités avec doigté. Pas toujours simple avec une équipe internationale de médecins, infirmières et autres volontaires en majorité très jeunes et fiers de leur enthousiasme.

Le travail est surtout possible grâce aux traducteurs, efficaces, indispensables, amicaux et tous migrants. Merci à Mohammed, Ali, Mohammad et tous les autres.

Occasion aussi d’entourer aux mieux deux jeunes étudiantes en médecine grecques pour illustrer le travail médical lorsqu’elles nous rejoignent pour quelques heures.

Début de Ramadan le 4mars : plus difficile pour les patients et pour l’organisation des soins décentralisés : en ville de Thessalonique, à Lagadikia à une heure de voiture ou à Ioannina, à 3 heures de voiture. L’équipe y passe la nuit, installation précaire sur les canapés de l’appartement de l’ONG  bernoise BAAS.

Les soins sont dispensés à des afghans, des arabophones, quelques somaliens, tous arrivés ces derniers mois, après un transit dans les îles. Très nombreux, des centaines par semaine, comme le confirment les messages hebdomadaires de l’ONG Aegean Boat Report qui signale hélas toujours des pushbacks vers la Turquie par les forces navales grecques.

A chaque départ en consultation, entasser les caisses de matériel et médicaments dans le Van fourni par l’ONG suisse  Van For Lifepour accueillir les migrants aux pathologies respiratoires, digestives, cutanées, rhumatologiques, toutes aggravées par les séquelles de stress post traumatique, le cauchemar du passé, l’anxiété du présent et du futur.

Souvent rester impuissant. Comment aider une famille afghane avec 3 enfants en bas âge, dévastée par le rejet d’asile ? Comment trouver insuline et matériel d’injection à un migrant lui aussi rejeté ?  Essayer d’aider un syrien, dans la rue depuis une semaine, à trouver un logement : expulsé du camp qu’il a dû quitter en 48 heures parce que sa demande d’asile a été acceptée. Une bonne nouvelle au goût amer. Quel paradoxe !

Multiplier les visites de pharmacies et de magasins d’articles orthopédiques pour acheter le matériel et les médicaments manquants : attelle ligamentaire, gel oral antimycosique ou  flacon d’antiseptique de douche pour éviter la récidive d’abcès cutanés.

Tenter d’obtenir un rendez-vous à l’hôpital pour un quadragénaire afghan dont l’hypertension reste sans traitement malgré plusieurs demandes écrites au médecin grec du camp.

Repartir en emportant les sourires, les remerciements  et signes de reconnaissance et bienveillance des migrants, sentir déjà le besoin de repartir pour un peu d’aide aux victimes de la cruauté et de l’égoïsme des hommes…

Et surtout essayer de garder espoir et confiance grâce à Janelle, née le 7 mars, magnifique petite fille, fierté de son papa, migrant africain rencontré à Samos il y a plusieurs années, toujours en galère après plusieurs rejets.

 

Avec amitié, prenez soin de vous !

Doc Pierre

Un calendrier de l’Avent pas comme les autres…

Doc Pierre (Pierre-Alain Schmied !) dévore les livres. Des auteur·es des quatre coins de la planète, une thématique le plus souvent en lien avec nos préoccupations : les migrations, la diversité culturelle, les droits humains…

Doc Pierre partage ses découvertes : il en parle, il fait circuler ces ouvrages qui alimentent la réflexion…

Belle idée lancée lors de notre dernière assemblée générale que de vous en faire profiter sous une forme originale et inédite pour nous ! En cette fin d’année 2024, nous lançons donc notre premier calendrier de l’Avent. Rien de plus simple pour y participer : effectuez un don au profit de Choosehumanity durant tout le mois de novembre pour participer au tirage au sort qui permettra à 24 personnes de recevoir un ouvrage dûment emballé d’un papier festif par voie postale !

Comme d’ordinaire, les dons peuvent être effectués par virement bancaire (Banque Raiffeisen de Fribourg Ouest, 1752 Villars-sur-Glâne, compte : CHOOSEHUMANITY, Impasse du Croset 23, 1753 Matran / Suisse / IBAN : CH53 8080 8003 7079 7644 0) ou par TWINT (soit via le QR code, soit au numéro de téléphone 079 707 53 78). N’oubliez pas d’indiquer la mention « calendrier de l’Avent » ainsi que votre adresse postale !

Nous espérons que notre action vous séduira, que vous aurez plaisir à y participer, et qui sait, à la diffuser autour de vous ! Merci pour votre soutien !

A toute et tous, le comité de Choosehumanity souhaite d’ores et déjà de belles fêtes de fin d’année !

Mary, Pierre-Alain, Caroline et Christèle

 

 

Echos de Thessalonique

Thessalonique, belle, accueillante, si différente d’Athènes.  La « ville haute », dédale de ruelles pentues de la période ottomane, accolée à des remparts ponctués de tours et de monastères byzantins, s’aplanit peu à peu, embrassant la « ville basse » qui entoure un golfe avec une mer calme, bleu sombre. Les vestiges romains ou ottomans y sont nombreux et les musées remarquables ravissent la foule de touristes.

Les réfugiés sont invisibles, parqués dans une lointaine zone industrielle ou dans des camps éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres de la métropole.  Dans la ville, quelques SDF grecs illustrent dureté et précarité sociale en faisant la manche ou se protégeant, entre un matelas pourri et une couche de cartons, de la chaleur accablante – le thermomètre annonce 43o l’après-midi, plus de 30o au meilleur de la nuit.

 

Retrouver l’ONG médicale de Samos – Medequali team – pour une nouvelle mission. Le travail y est encore restreint, limité à la bonne volonté d’ONG partenaires qui ouvrent un espace de consultation où l’équipe médicale se déplace avec les médicaments de base répartis dans valise, sac et boîtes plastiques.

Deux fois par semaine, dans une zone industrielle de la ville, « quartier rouge » où fleurissent les salons érotiques, l’équipe de Wave – accueil des migrants et distribution de repas –  prête un petit local où un lit d’examen portable est déployé, permettant au médecin, à l’interprète, à l’infirmière ou à l’étudiante en médecine de consulter. Essentiellement des réfugiés arabophones, quelques afghans ou nord africains.

Les autres jours, départ en voiture pour un trajet de 50 minutes vers un centre communautaire proche du camp de Lagadikia où nous consultent arabophones et afghans. Aucun africain comme à Chios, Samos ou Athènes.

Pathologies habituelles : affections banales respiratoires, ORL, cutanées liées aux conditions de vie et à la chaleur ou états douloureux fréquents dus aux contractures et tensions musculaires touchant tête, nuque, dos, membres. Multiples dégâts dentaires. Traiter et soulager bien sûr. Surtout répéter et démontrer les positions, postures et mouvements pour une prévention efficace des récidives.

Puis alerte covid dimanche 19 juillet avec 2 patients positifs. Centre communautaire fermé. Travail avec masque FFP2 et gants… En quelques minutes, revivre le lock down de Samos en continuant de traiter les bobos habituels, jugés inintéressants par une volontaire qui n’a pas compris que l’intérêt est lié au patient et pas à une pathologie excitante… Le 23 juillet, le cas intéressant… pour certains. Une crise épileptique qui se répète chez un jeune homme de 25 ans. Mobilisation générale d’une partie des volontaires alors que le reste de l’équipe consulte, consulte encore, un téléphone en main pour une traduction à distance en attendant l’ambulance qui mettra près de trois heures pour arriver.

Pas de prise en charge possible des pathologies chroniques qui doivent être adressées, comme quelques autres situations dramatiques, notamment psychiatriques, à l’hôpital grec, parfois à Médecins du Monde mais toujours avec de longs délais d’attente. Comme toujours, essayer de trouver un rendez-vous de dentiste pour le soin urgent d’une ou plusieurs dents brisées, cariées, déchaussées.

Difficulté enfin devant le fossé culturel et sociétal pour aider une femme qui a tous les signes de violence intra familiale : hématomes sous-cutanés multiples et mutisme devant son époux, son fils expliquant qu’elle se mord en cas de crises…

Et comme souvent, un atelier d’enseignement « rhumatologie » pour l’équipe soignante, et un cours de santé et prévention dentaire pour les réfugiés où, immédiatement reconnu, j’ai eu le bonheur de revoir avec émotion et plaisir un africain rencontré à Chios il y a déjà 7 ans.

Au fil des années, la situation des migrants «acceptés, reconnus à être protégés» se détériore. Ils restent sans soutien pour le quotidien suite aux décisions gouvernementales qui se durcissent malgré la protection internationale accordée. Pour eux l’aide, restreinte, se raréfie au fil des mois avec un accès impossible au système grec de santé sans avoir emploi ou logement. Tous les autres, «les rejetés», sont totalement oubliés et ignorés à l’exception d’employeurs qui profitent de leur statut d’illégal pour perpétuer l’esclavagisme…

Les scandales répétés sur les conditions d’accueil et les rejets («pushback ») tant terriens que maritimes ne font pas bouger le gouvernement malgré les rapports internationaux accablants et la condamnation de la Grèce par Strasbourg.

La Grèce peut et surtout doit mieux faire, comme la Suisse et les autres pays de l’UE pour appliquer les conventions de Genève.

L’ours et la valise

Lorsqu’elle enlace l’énorme peluche reçu d’une association partenaire, ses yeux pétillent et témoignent d’une enfance traversée à pas de géants. Issue d’une culture où travailler à moins de 10 ans est monnaie courante, se retrouver comme elle mère à tout juste treize ans ne surprend pas vraiment, elle avait serré l’ours très fort contre elle en s’écriant « désormais, quand je serai triste, j’aurais quelqu’un auprès de qui me blottir ! ».

Lorsque je lui demande ce qu’elle envisage de faire, son front se plisse, ses yeux s’assombrissent, elle a le regard noir d’une femme d’âge mûr qui porte sur elle les stigmates d’un parcours complexe, des responsabilités à assumer, pour elle, mais aussi pour ce fils resté au pays, fruit d’un viol, à qui elle rêve de pouvoir offrir ce qu’elle n’a jamais reçu : sécurité et éducation.

Dix-huit ans à peine et déjà trois années d’errance et de solitude sur le chemin de l’exil. Le Soudan, la Libye, la Turquie… La traversée de la Méditerranée dans une embarcation de fortune, l’arrivée à Samos et le séjour dans sa jungle où bien que mineure non-accompagnée, elle devra se faire sa place parmi les adultes et parviendra à survivre tant bien que mal.

Sa protection internationale une fois obtenue, elle tente de mener sa vie dans la capitale, mais se rend très vite compte des dangers qui guettent une jeune et jolie presqu’encore adolescente à la peau d’ébène. Elle choisit de partir en Suisse, ce pays dit «à haute tradition humanitaire », qui balaie sa demande sitôt sa majorité atteinte. La faute aux accords de Dublin. La faute à une méconnaissance de ce qui attend les réfugiés statutaires en Grèce. A plus forte raisons si ces personnes sont noires. Et femmes.

C’est au matin du 15 mai dernier que la jeune fille est convoquée dans le bureau du foyer où elle réside. On lui demande de rendre la clé de sa chambre, on la menotte, on jette pêle-mêle dans un gros sac en plastique toutes ses affaires et on l’emmène sous contrainte à l’aéroport de Zürich. Direction la Grèce. Retour case départ, ou presque.

Aujourd’hui, Safiya tente de faire entrer dans une minuscule valise un maximum de vêtements. Avec ses huit kilos règlementaires, elle veut tenter sa chance ailleurs, une fois encore. Deux mois de galère à Athènes, c’est assez. Elle a pourtant fait de gros efforts pour conquérir son autonomie. Elle a trouvé un emploi, mais Impossible de signer le contrat de travail sans sécurité sociale (AMKA) et numéro fiscal (AFM), lesquels s’obtiennent, pour les réfugiés, sur présentation d’un contrat de travail ou contrat de bail (lequel ne peut être établi que sur présentation du AFM)… Bref … une approche « à la grecque », sans logique aucune, très éloignée de ce qui figure sur papiers…

Aujourd’hui, Safiya va prendre un nouvel avion.

Destination un autre pays européen.

Avec un espoir, tout petit certes.

Si petit que même sa valise bouclée, elle doute.

Mais se dit soulagée de savoir que la porte de notre appartement à Athènes lui reste grande ouverte.

Qu’ajouter ?

Mary / Athènes le 30 juin 2024

Athènes au seuil de l’hiver 2023

Octobre et novembre 2023

La moiteur douce de l’automne enveloppe les milliers de touristes qui débarquent d’avions bondés, en quête du frisson balnéaire promis par les catalogues des agences de voyage avec une petite touche d’archéologie qui transformera leur semaine all inclusive en voyage culturel inoubliable…

Se sentir en marge, hors de la marche du monde, dans la longue file d’attente d’un taxi qui m’emmènera avec deux pleines valises  – médicaments, matériel médical, un peu de chocolat aussi – à la place Victoria, à deux stations de métro de Monastiraki où les hordes de touristes s’agglutinent sur les terrasses devant leur assiette de souvlaki et de salade grecque, levant rarement les yeux pour admirer les vestiges illuminés de l’Acropole, ou encore s’émerveillant du folklore local près de Syntagma.

Le contraste est rude avec les familles de sans-abris de la place Victoria qui seront chassées sans aucune émotion en quelques minutes- coup de poing dans la fourmilière- par les duos de policiers qui tuent les nombreuses heures de faction un gobelet de café dans une main, une cigarette dans l’autre, indifférents à la marche du monde et aux voisins miséreux.

Revoir de nombreux patients, expliquer les résultats des examens effectués dans les hôpitaux qui ne font jamais l’objet d’information ni d’examen clinique, illustrer les consignes de protection articulaire, répéter les conseils d’alimentation et d’hydratation, distribuer quelques médicaments de base pour une automédication sûre et efficace, accompagner un de nos locataires chez la psychologue et actualiser le traitement avec le psychiatre.

Continuer sans relâche de soutenir psychologiquement Sou.., Tid…. Pau.., qui attendent une décision administrative depuis plus de cinq ans et dont les dates de dépôt des recours sont sans cesse repoussées malgré la diligence des avocats

Se sentir peu efficace, voire impuissant en médecine de rue par manque de moyens, près de la place Omonia, où se rassemblent sans-abris, réfugiés, toxicomanes

Evaluer les documents médicaux d’une jeune gambienne, à la demande de l’assistante sociale d’une ONG partenaire pour lui éviter la rue. Elle doit quitter dans les 48 heures le camp qui l’héberge depuis de nombreux mois, faute de place selon les autorités grecques de l’asile, malgré son traitement médical lourd et donner le feu vert pour l’accueillir dans l’appartement de Choosehumanity, puis l’y installer. Refaire un bilan médical complet pour mieux saisir ses multiples problèmes médicaux pulmonaires, cardiaques, rhumatologiques et organiser le suivi du traitement.

Mettre la main à la pâte avec le trio de choc de Choosehumanity présent à Athènes : Mary, Caroline, Paul, puis finir la journée de travail par la nécessaire récupération des forces…

Assister les protégés, acheter des provisions de base et les bons de nourriture, distribuer le financement mensuel des loyers, réparer le chauffe-eau, la fuite d’eau d’un lavabo, exterminer quelques nuisibles, améliorer l’intendance, relancer la convivialité avec des repas en commun dans un petit restaurant afghan ou déguster dans un des appartements un repas de spaghettis sauce bolognaise préparé par Caroline, ou de poulet mafé par Mary – entretenir la solidarité et l’amitié…

S’inquiéter tous ensemble de la disparition de P., retrouvé avec soulagement après une semaine d’inquiétude dans un hôpital, participer aux actions de SOS refugees, collaborer avec Light House Relief et son assistante sociale, préparer puis distribuer des repas chauds dans la rue avec Help Your Neighbor.

Écouter avec tristesse les propos de désespoir et d’angoisse du tenancier palestinien d’un petit café place Amerikis…

Rencontrer par hasard un couple de volontaires irlandais qui se sont engagés à participer au financement de quelques projets. Grand merci à eux.

Merci à vous toutes et tous de nous soutenir et d’aider Choosehumanity à apporter un peu d’humanité à Athènes, à Fribourg, à Lausanne et ailleurs en Suisse, avec l’espoir qu’en Grèce  et ici  mais aussi en Palestine, en Israël, au Liban, en Syrie et partout dans le monde la paix, la fraternité, le respect du voisin efface la souffrance de nos frères démunis et souvent abandonnés.

Rappel de ce proverbe kabyle, découvert dans le roman d’un auteur congolais : « En me promenant dans le désert, j’ai vu au loin un animal sauvage. En m’approchant, j’ai vu que c’était un homme. En m’approchant davantage, j’ai reconnu mon frère ».

Avec amitié,

Doc Pierre

 

 

Message de Doc Pierre – février 2023

Dans la valise, les médicaments pour apaiser et soulager les défaillances physiques, achetés par les dons des amis qui permettront aussi d’acheter quelques vêtements d’hiver pour ceux qui n’en ont pas.

Dans la tête, l’énergie de poursuivre la tâche sans relâche, malgré la colère devant tant de misère humaine et l’aveuglement de l’Europe.

Un séjour intense, une fois encore, ponctué par de multiples et diverses actions… Distribuer l’aide fournie chaque mois par Choosehumanity (bons d’achats de nourriture et financement du loyer)… Retrouver avec un immense plaisir nos « bénéficiaires » et en profiter pour dispenser des soins, répéter les conseils médicaux de posture, d’alimentation, d’hydratation ou tout simplement fraterniser en reparlant de Chios, de Samos, d’Athènes. Entre les actions médicales, participer aux distributions de nourriture de SOS Refugees Athens, notre organisation partenaire à Athènes. Voir de nouveaux patients dans l’appartement de Choosehumanity, dans leur chambre ou sous un pas de porte. Mais comment apaiser le désespoir, l’anxiété du présent, la  peur de l’avenir, la précarité avec du paracétamol ? Revoir cet interprète aussi, parqué dans l’immonde camp de Ritsona, abandonné de tous, et particulièrement de l’une des deux multinationales de l’humanitaire pour laquelle il a travaillé plus de deux ans.

Dans la rue, je suis reconnu et me fait agripper par un jeune africain pris en charge à Samos en 2021. Il ne peut cacher son émotion…Était-ce le fait de se revoir ou revivait-il l’hémorragie sévère qui fut à cette époque difficilement contrôlée avec les moyens du bord ?

Lors d’un repas partagé dans la chaleur confortable d’un petit restaurant grec, je me réjouis de réaliser que le mélange des cultures engendre également des élans de solidarité. Quel bonheur de voir les sourires d’une quinzaine de personnes réfugiées présentes ce soir-là-

Athènes est paralysée par le froid et la neige en cette fin du mois de janvier. Vient ensuite la pluie, qui se calme peu à peu. Dans le ciel, la grisaille persiste. Pas un rayon de soleil pour réchauffer  les réfugiés qui déambulent aux places Victoria et Amerikis, et dont les appartements n’ont pas de chauffage. Quant à ceux qui dorment dans la rue… terrible… Comme cette réfugiée déjà âgée, que Mary a rencontrée par hasard et qui a pu occuper quelques jours la chambre d’un petit hôtel, avant d’être placée dans un appartement, ceci grâce aux dons des personnes qui nous soutiennent.

A deux stations de métro de là, autour des places Syntagma et Monastiraki, touristes et grecs privilégiés flânent  bien emmitouflés. Les portes des boutiques de luxe restent grandes ouvertes laissant s’échapper la chaleur élevée des intérieurs surchauffés. La conscience écologique et la crise énergétique ne touchent pas tout le monde de manière identique…

Pierre-Alain Schmied

Littérature de l’asile

Notre expérience de terrain en Grèce, nos rencontres privilégiées avec des personnes qui nous ont accordé leur confiance, ont donné naissance à deux nouvelles publications. Après Échos de la mer Égée – voix de réfugiés (L’Harmattant, 2020), ce sont un album illustré et une nouvelle que signe Mary Wenker, avec toujours pour objectif sensibiliser le public à la dure réalité de l’exil. Des outils aussi, à déployer lors de formation destinées aux acteurs des milieux éducatifs et des classes.

 

Hasan venu d’ailleurs, album pour enfants paru aux éditions LEP en septembre 2023, s’inspire d’une rencontre au camp de Vial à Chios. Lorsque je rencontre la famille d’Ali, et qu’il apprend que je vis en Suisse, il s’exclame « mon fils est là-bas, nous ne l’avons pas revu depuis 6 ans ». C’est en effet à la frontière irano-turque que l’enfant réussi à passer la frontière alors que sa famille est repoussée. A onze ans, il parviendra à faire seul le chemin jusqu’en Suisse où il sera accueilli comme mineur non-accompagné. Cette rencontre fortuite a permis de lancer une procédure qui, deux ans plus tard, permettra un regroupement familial à Berne (Suisse).

 

 

L’album est ponctué de questions qui s’adressent au lecteur, lui permettant d’exprimer ses questionnements et émotions. Il est accompagné d’un dossier pédagogique réalisé avec la LICRA de Genève. A diffuser largement pour permettre au public de mieux saisir les enjeux de l’exil !

En décembre 2023, la nouvelle The Game, primée lors d’un concours, est publiée aux Editions du Poisson Volant.  L’histoire s’inspire du vécu d’un jeune malien que nous avons hébergé dans notre appartement à Athènes. Durant tout son voyage de Grèce en Hollande, nous sommes restés en contact par téléphone. « Demain, je vais essayer le game à nouveau »…. A savoir, la tentative de passer une frontière.

Publiée sous forme de leporello, illustrée par des oeuvres de papier découpé par Sylvain Monney, la nouvelle est accompagnée d’un poadcast et des voix de Michel Voïta et Yvette Théraulaz.

Un objet d’art à s’offrir, à offrir, à diffuser pour permettre, une fois de plus, de mieux comprendre ce que vivent les personnes réfugiées sur le chemin de l’exil !