Merci à Sylvia Breitling d’avoir consacré quelques jours de son temps aux activités de Choosehumanity ! Une première expérience du terrain qui n’était pas simple : le choc est grand. Nous lui avons demandé de rédiger un petit texte à votre intention. Le voici :

« L’épaisseur de la ville me happe dès la sortie du métro. Je traverse la place bondée en cherchant, non sans appréhension, Mary du regard. Elle me voit vite ; je la repère au jaune de son sac. Elle me présente Paul, une aide si précieuse à Athènes. Sourire immense et doté d’un éclat au coin de l’œil plus scintillant que l’Acropole qui s’affiche quelque part au loin dans la nuit, dotée de grands phares impudiques semblant nous forcer à la contempler, avec ses roches et ses siècles. Tellement loin de ce qu’il faut voir ici, regarder, vraiment. Paul engage rapidement le trajet, ondulant d’un pas svelte entre les obstacles: stands, passants, tables, poussettes, lits de camps. Commence une étrange croisade d’allées et venues. On glisse, coulisse, court ; (et je peine à suivre) à travers les rues, pièces, situations.

Ce que je ressens de cette «parenthèse de voyage» ou «de transit»… «Parenthèse» justement, n’en est pas une. C’est une «part entière» de la vie de Mary. Elle accompagne, «entraîne au vivant en vivant». On la sent ouverte, vraie, forte, sensible, ce qui permet de s’adosser, se sentir en sécurité pour la suivre et se confronter. On est amené à la légitimité de ses propres forces et fragilités. A soi, à «ça» ; Réalité. Il ne s’agit pas ici d’adapter, de déplacer ou d’intégrer l’autre mais bien de s’intégrer soi-même, et partager. Vivre. Ensemble. Réapprendre. Dans un contexte totalement nouveau, étranger, inconnu, trouver des manières de «fonctionner», de contribuer autant que possible à rendre peut-être plus «gérables», pas «supportables» quelques trajectoires de vie qui justement ne le sont pas. Étranges sensations de contradictions : L’Occident accueille mais enferme, emmure ; il s’agit d’accepter d’être pris dans un engrenage ou les pavés semblent constitués de sables mouvants. Tout glisse mais rien ne bouge. Ne peut être que temporaire. Provisoire. Mais cloisonné.

On cuisine, joue, mange, rit. On soupire, on pleure à l’intérieur. Mary porte, cherche, trouve, désigne, pointe du doigt. Des couches pour bébé, des médicaments, des draps; un examen médical ; un cours de grec ; un emploi. Vérifier des payements ; commander des clefs ; transmettre des consignes pour contrer des douleurs dorsales. On va à l’essentiel, avec une légèreté non feinte, puissamment importante tant elle est nécessaire ; dans ce contexte ou chaque angle, chaque contour, pourrait être à vif.

Au détour d’une conversation, d’un repas partagé sur le coin d’une table, des confidences partagées… «Elle a fui pour éviter l’excision à sa fille». «Le dernier enfant, il est arrivé en raison d’une capote pétée ; prostitution pour subsister».  «Il y en a qui étaient tellement seuls ; il fallait quand même quelqu’un pour les enterrer. Il n’y avait que moi». Brusquement, sur l’écran du téléphone portable, un visage aux yeux clos apparaît, enserré dans un capuchon qui n’est pas celui d’une parka mais bien d’un sac mortuaire. L’éclat rieur dans les yeux de  Paul me semble plus humide pendant un instant. Peut-être qu’on effleure ici la raison de son intensité. Et dont on ferait bien de s’inspirer.

L’émotion dans une étreinte. L’éclat de rire ricoche au creux de l’oreille. La glace qui coule sur la joue du petit. Madeleines de Proust, on l’espère. C’est tellement peu. Trois grains de sable dans un Océan. Tellement insuffisant. Mais c’est déjà ça. Parce que c’est intolérable. Et c’est maintenant. »

Merci Sylvia pour ce texte émouvant !